L’autre soir, à Artv (je sais, j’suis snob), je visionne le beau film de Larry Weinstein consacré à Kurt Weill et s’ouvrant avec l’interprétation par Nick Cave de La complainte de Mackie. Et je me dis qu’il reste d’une actualité aussi féroce que Big Brother. C’est dans ce même univers que nous entrons avec Raphaël Korn-Adler, un monde où règnent en maître les Kenneth Lay (Enron, ça vous dit quelque chose et George Bush II), Bill Gates et Silvio Berlusconi. PLUS QUE JAMAIS ! L’argent et le pouvoir, y a que ça. PLUS QUE JAMAIS !
L’anecdote ‘ on pourrait appeler ça la trame principale : Pedro Sokolof Gomes, brillant informaticien, sorti de la misère grâce à ses recherches sur l’intelligence artificielle, replonge brusquement dans le désert. Non seulement perd-il du jour au lendemain son emploi, mais sa femme, Iris, déesse et avocate nègre, contracte une étrange maladie fatale du système nerveux central, le syndrome réticulo-limbique, provoqué par un blé doublement transgénique ! Ironie du sort : tous ceux qui en sont victimes meurent le sourire aux lèvres. Le calvaire de Pedro ne s’arrête pas là : sa fille, Marianne, s’abîme dans la drogue, tandis que son fils, Renato, devient numéro deux de « L’Ordre de la Vérité Suprême », une secte dirigée par Obando, ex-bourreau pendant la dictature militaire.
Bref, une véritable critique de la raison cynique sous forme fictionnelle ou encore une sorte de preuve de la mise en condition qui nous paralyse sous les illusions de la société du spectacle. Traité du désespoir ou précis de décomposition ? Comment répondre autrement qu’en insistant sur l’intense amertume qui se dégage de ce mémorial, de ce livre qui constitue au premier abord un chef-d’œuvre d’hyperréalisme : « un monde de rats et de blattes ». Il s’agit bien sûr ‘ Kafka ou Céline se seraient entendus sur ce point capital ‘ de celui des hommes, la plus dangereuse, la plus sauvage de toutes les espèces. D’un côté, les grandes firmes générant des milliards avec les OGM et de l’autre, l’église catholique interdisant la contraception.
À la réflexion, ce roman est bien davantage en ce qu’il démontre l’étendue sidérale du grand mensonge universel, dont le Brésil n’est au fond qu’un exemple illustre mettant en lumière l’implacable lâcheté de la « tourbe humaine » (l’expression est de Cioran, si ma mémoire est bonne) et favorisant, par la grâce de son histoire hollywoodienne, la rencontre dans l’obscur de la misère des riches et de l’impudence de la plus grande part de l’humanité, devenue muette par assèchement. Sans doute les petits intellos confortablement assis sur leur cul douillet seront-ils déçus de ne pas trouver le carnavalesque, le futebal et le métissage d’usage (j’allais oublier leurs fantasmes on sait lesquels). C’est que le Christ rédempteur de Rio ouvre ses bras sur un enfer comme on n’a pas idée quand on n’assiste qu’à des colloques subventionnés par les mendiants de tous les pays.