Sous le dernier titre de Philippe Forest, Prix Décembre 2004 en France, apparaît la mention « roman ». Il en est ainsi depuis la parution de L’enfant éternel, premier récit articulé autour de la mort de sa petite fille de quatre ans. Car selon l’auteur, la vie de chacun est un roman et seul le roman peut raconter la vie. Et cette vie, depuis ce jour dramatique de janvier 1995 où lui et sa femme Alice ont appris que Pauline atteinte d’un cancer était condamnée, reste marquée à jamais par la maladie et la mort de l’enfant. Après L’enfant éternel, Prix Femina du Premier roman en 1997, et Toute la nuit, l’écrivain retourne donc au creux de cette tragédie avec Sarinagara.
Professeur de littérature à l’Université de Nantes après avoir enseigné plusieurs années en Angleterre, Philippe Forest obtient une bourse du gouvernement français pour la rédaction d’un essai sur la littérature japonaise. Entre Kyoto et Tokyo puis Kobe, l’auteur finit par suivre les traces de trois figures particulières issues d’époques différentes et qui, en apparence, n’ont rien en commun : le dernier grand maître du haïku, Kobayashi Issa (1763-1827), le célèbre romancier Natsume Sôseki (1867-1916) et le premier photographe de guerre à avoir saisi et sauvé une centaine de clichés de Nagasaki après la bombe atomique, Yamahata Yosuke (1917-1966). Mais, d’une ville à l’autre, d’un personnage à l’autre, c’est le fil de sa propre mémoire que suit Philippe Forest. Car dans chacune de ces vies surgit l’image d’un enfant mort, et c’est à Kobe, au bout du voyage, qu’il comprendra enfin que survivre à une horrible déchirure « est l’épreuve et l’énigme ». Et, conclut-il, « [i]l y eut ce jour, cette nuit, puis ce jour encore où rien de ce qui faisait la nuit précédente n’a pourtant disparu et nous voici à nouveau, égarés quelque part en plein soleil, sans comprendre du tout pourquoi, debout dans la lumière d’un rêve, impardonnables et pourtant innocents, nous qui sommes vivants ».
Le titre Sarinagara, qui signifie « pourtant », « cependant », « en dépit de », renvoie d’ailleurs au dernier mot de l’ultime haïku de Kobayashi Issa. On aura compris que cette autofiction, traversée par les réflexions de l’auteur, ne porte pas tant son regard sur la culture et la société japonaises à travers les derniers siècles que sur le reflet que le Japon apporte de sa propre histoire écrite avec une douloureuse sobriété.