Prix Robert-Cliche du premier roman 2018, Saint-Jambe n’est pas en réalité une œuvre romanesque. En note à la postface de l’auteure, l’éditeur parle plutôt d’« anthologie », d’« étude », d’« essai » et avoue que l’étiquette roman a été choisie « afin de la [l’anthologie] rendre accessible au lecteur moyen gravitant en dehors des universités ». Qu’en est-il au juste ?
Jeune ethnologue québécoise chercheuse à l’Université Laval, Alice Guéricolas-Gagné dit pour sa part qu’il s’agit d’un recueil qui « tient un peu du manuel d’histoire et beaucoup du traité d’ethnologie ». Ce sont des récits qui « réuni[ssent] les témoignages et documents relatant les épisodes incontournables de l’histoire nationale saint-jambienne », c’est une « consignation des mythes fondateurs de Saint-Jambe-les-Bains ». Ces récits ne sont pas imaginaires , précise-t-elle, et la République de Saint-Jambe, où se situe pour ainsi dire l’action, fait directement référence à un faubourg de Québec, en l’occurrence le quartier Saint-Jean-Baptiste, un « quartier-pays » constituant « une enclave territoriale coupée du monde » : les textes, qui s’apparentent au demeurant à des nouvelles, mentionnent la Basse et la Haute-Ville de Québec, avec ses rues (Saint-Jean, Lavigueur, Deligny, René-Lévesque, Saint-Olivier…), ses côtes (Badelard, de la Montagne, Claire-Fontaine…), ses institutions (le carnaval, le Grand Théâtre, l’Université Laval, qui est évoquée sous l’appellation d’Université libre de Saint-Jambe…). On y parle aussi du Vieux-Québec, du cap Diamant, du bassin Louise, de l’édifice du Complexe G…
Les dix-huit récits-témoignages, faits au « je » féminin et au « nous », racontent divers épisodes de la vie des Saint-Jambiens et tout particulièrement du « Siège » qui en a marqué l’histoire. Dans une langue qui ne craint pas l’usage du parler populaire, Saint-Jambe décrit aussi un milieu fantastique où l’on assiste à la transformation du faubourg en « colonie estonienne », où apparaissent des chaises qui se déplacent d’elles-mêmes, un vieil autobus « sociopathe » qui esquive les gens pour des raisons politiques, des « poètes aériens » qui courent sur les toits… On perçoit également en filigrane une discrète critique sociale, au sujet par exemple du « Vieux-Québec-en-faux-marbre », de la « surveillance collective » de la personnalité de la narratrice, et de la rénovation de « certains des bâtiments de béton les plus hideux de l’Université Laval ».
Saint-Jambe est un bon faux roman où le réel, la fantaisie et l’histoire se joignent pour former un ensemble surprenant, imaginatif, agrémenté d’un peu d’humour et de nombreuses citations infrapaginales.