On parle beaucoup de la Chine ces derniers temps, en raison de son spectaculaire développement économique et de l’attrait qu’elle exerce sur les entrepreneurs occidentaux. Ce que l’on connaît moins, c’est la Chine d’avant son virage promarché, l’état de l’Empire du Milieu durant son passage du maoïsme au capitalisme, avec l’indélébile tache noire qu’ont été les massacres sur la place Tian’anmen de Pékin en 1989. Des événements qui ont isolé le pays et ses dirigeants, apeurés à l’époque par l’écroulement du socialisme outre frontières.
Le journaliste pigiste français Éric Meyer a vécu dans ce pays entre 1987 et 1991. Il a colligé des impressions jamais publiées dans d’autres médias. Il nous les livre ici, presque 15 ans après les faits.
Ce qui s’en dégage, c’est ce paradoxe presque unique d’un régime qui ouvre son secteur économique, mais tient plus que tout à garder le contrôle absolu de la sphère politique, même si cela l’oblige à de mensongères postures de propagande. Ainsi le qualificatif donné à l’actuel système : une « économie socialiste de marché ». Avec en sourdine la lutte silencieuse des Chinois de la rue pour plus de liberté, « les trésors d’imagination du petit peuple pour vivre et s’affirmer et l’incapacité de ses dirigeants à le tenir en main ». Certes, confie l’auteur, dans le pays de Confucius, les ordres sont exécutés, mais plus par utilité que par correction, la vérité étant de toute manière décrétée par un État central obsédé par sa lecture uniforme d’une réalité qu’il veut à tout prix imposer.
Pour réussir en Chine, il faut continuellement « piéger le système », « passer par la porte de derrière », miser sur plusieurs talents à la fois, tel Robinson sur son île déserte. Dans une société où l’État ne se soucie guère que d’argent et d’idéologie, seul le statut amène des privilèges et une protection contre l’arbitraire. « Ici, il y a le statut et le piston un point, c’est tout. » La loi n’a pas préséance, et bien peu d’empathie se manifeste en faveur des minorités, des plus démunis.
En somme, l’admiration que suscite ce pays pour ses exploits commerciaux ne peut guère se transposer dans l’espace politique. Si la Chine matérialiste réussit, la Chine des idées ne constitue nullement un modèle.