Quel critique de théâtre oserait s’interroger au sujet de Sudbury en parodiant le mépris des pharisiens de Jérusalem à l’égard de Nazareth : « Que peut-il sortir de bon de cette bourgade ? » L’individu serait vite interdit de chronique tant Sudbury et son éditeur, Prise de parole, sont garants d’un théâtre digne des meilleures scènes. Montréal-la-Grande ne fait-elle pas ses délices de Richard III, drame shakespearien traduit par Jean Marc Dalpé et édité où l’on sait ?
Pourquoi Richard III ? Peut-être parce que la pièce marie diverses traditions tout en courant vers une conclusion terrifiante d’unité. Clans et familles rivalisent d’ambition au risque de fragmenter l’intérêt, mais sans jamais ralentir Richard III dans son œuvre de mort. Les personnages féminins se dispersent en malédictions, mais leurs plaintes ne pèsent rien face à la kyrielle d’assassinats. Shakespeare rétablira l’unité en immolant l’usurpateur, le traitant comme le fléau de Dieu. À crimes exorbitants correspond la géhenne. Punition d’autant plus adaptée que la pièce s’offrait à l’une des premières générations touchées par Machiavel et par son culte de la raison instrumentale. « Que le Prince qui veut la fin prenne les moyens », disait le penseur florentin. Meurtre compris, concluait Richard III.
Dalpé entre de plain-pied dans cet univers hallucinant. Il injecte même dans le cynisme désinvolte de Richard III une dose supplémentaire d’humour noir. À peine Richard III a-t-il emberlificoté Anne dont il vient pourtant de tuer les proches qu’il se félicite à haute voix de ses immondes talents de séducteur : « Quoi ! moi, le meurtrier de son mari, du père / De celui-ci, la prendre au plus fort de sa haine, / L’anathème à la bouche et des pleurs dans les yeux » (dans la traduction de Jean Malaplate, Robert Laffont, 1997). La traduction de Dalpé surenchère en exigeant la complicité admirative du spectateur : « Vous avez vu ?! Moi qui ai tué son mari et son beau-père, / Je l’aborde alors qu’elle est au zénith de sa colère ». Poussant jusqu’à l’étalage du sadisme de Richard III, Dalpé transforme l’usurpateur en bête malfaisante : Richard remplira en Angleterre le rôle d’Attila devant Paris et tombera comme les fléaux dont la main divine n’a plus besoin. Théâtre aux axes tranchants.
Tenté par la verdeur, Dalpé en secouera plusieurs en truffant le vocabulaire des sbires de Richard de quelques grossièretés typiquement québécoises. La présentation de Pierre Spriet (Robert Laffont, Œuvres complètes II) les calmera en référant au manuscrit Q de la pièce : « Q contient aussi des jurons, qui furent sans doute supprimés dans F conformément à la loi sur le blasphème de 1606 ». Traduction costaude et… retour aux sources.
RICHARD III
- Prise de parole,
- 2015,
- Sudbury
200 pages
19,95 $
Trad. de l’anglais par Jean Marc Dalpé
Loading...
Loading...

ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...
DERNIERS ARTICLES
Loading...