Michel Verrier n’est visiblement pas convaincu que les peuples heureux n’ont pas d’histoire. Il n’est pas davantage au diapason d’André Gide affirmant que « c’est avec de beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature » et encore moins de Marc Angenot clamant qu’« on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments ». Verrier aurait d’ailleurs raison d’exploiter au maximum les nuances qui colorent ces déprimantes sentences : si les sentiments bons ou beaux ne garantissent pas la réussite littéraire, ils ne la rendent pas non plus impossible. La preuve ? Un livre qui avoue se délecter de l’eau de rose (ou du goût de miel), tout en invitant le jovialisme et le réel à cohabiter.
S’il ne faisait que rêver l’Amérique, le jeune Antoine s’apparenterait banalement à celle qui désirait sa « cabane au Canada » ou à son cousin hypnotisé par « L’Amérique ! L’Amérique ». Antoine préfère Le Petit Prince : sa rose (ou son Amérique) vaudra ce qu’il aura investi dans sa conquête. Du rêve, Antoine passe au geste : il quitte la sécurité de sa France et plonge, tous muscles investis, dans l’inconnu étatsunien. À la manière d’un Serge Bouchard, son camion fréquente tous les chemins. La recherche est rigoureuse, les villages salués par leurs noms, les mœurs apprivoisées, les amitiés nouées dans le respect. Sentiments beaux et bons. Et vrais.
Verrier donne tout de même un déterminant coup de pouce au destin et côtoie dangereusement le cliché quand Antoine rencontre Winona. Entre l’Européen et l’Amérindienne, l’amour flambe, au point qu’Antoine rompra sa promesse d’être de retour pour Noël. Le chagrin des proches sera vif, mais l’annonce d’un rejeton de Winona et l’incursion du jeune versant de famille en terre d’Amérique en tempèrent l’assaut. Le père d’Antoine, un taiseux, et sa mère, une poule couveuse généreuse et agitée, apprennent à apprivoiser le lointain par descendance interposée. Les voyages dans les deux sens ouateront et resserreront les relations jusqu’au moment où l’auteur sentira la menace des trop beaux sentiments : une accusation plutôt saugrenue portée contre Winona, alors même qu’elle séjourne dans sa belle-famille, réintroduira dans le récit une nécessaire incertitude. Le goût de miel reviendra, presque trop onctueusement.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...