Dénonçant le trio anti-européen Johnson-Trump-Poutine, la dernière œuvre anti-Brexit de l’auteur est en quelque sorte son testament. Le Britannique est décédé en effet en 2020, peu après la parution de son vingt-cinquième roman d’espionnage, lequel perpétue l’écriture intelligente, pince-sans-rire et jouissive des autres livres de l’auteur.
Pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, David John Moore Cornwell, dit John le Carré, raconte encore une fois dans Retour de service le monde pas toujours propret, mais toujours fascinant, du contre-espionnage britannique. Un monde qu’il connaît d’ailleurs fort bien puisque dans les années 1950 et 1960, il était lui-même un agent secret du MI5 et du MI6, un fait aujourd’hui de notoriété publique. Le Carré met ainsi le point final à son œuvre colossale.
Dès 1963, lors de la parution de L’espion qui venait du froid, rapidement devenu un best-seller international, l’écrivain s’était imposé comme le grand maître des romans d’espionnage. Son livre La taupe, paru en 1974 et dont le titre anglais Tinker, Tailor, Soldier, Spy était tiré d’une comptine pour enfants, est devenu en 2011 un film à grand succès et a confirmé son talent et sa notoriété.
Viscéralement europhile, l’auteur britannique tient à raconter sa vision des choses : « La Russie n’avance pas vers un avenir radieux, elle repart en arrière vers son passé sombre et délirant ». Nat, le héros de Retour de service, n’est plus de prime jeunesse et, après de nombreuses années passées au service de Sa Majesté en ex-Europe de l’Est, est de retour à Londres pour terminer sa carrière loin des affectations à l’étranger et de leurs feux roulants. C’est du moins ce qu’il croit. Ce ne sera évidemment pas du tout ce qui se passera. Espions simples, doubles ou même triples, actuels ou passés, cyniques de toutes espèces, entourloupettes et méchancetés de ses confrères fonctionnaires, querelles byzantines, la Terre entière semble s’être concertée pour lui mettre des bâtons dans les roues.
Pour écrire ce délicieux opus, sans doute le plus personnel et le plus politique du romancier, le Carré se fait chroniqueur du XXIe siècle et fait part avec générosité de sa vision du monde ainsi que de son désespoir et de son incrédulité face au Brexit. Le protagoniste et narrateur Nat met en doute l’idée un peu désuète d’une « Angleterre comme étant la mère de toutes les démocraties », mais combat les ennemis de son pays avec toute la droiture dont il est capable.
Ironie, réalisme et brutalité se côtoient, dans une superbe traduction d’Isabelle Perrin. « Trump, c’est le balayeur de chiottes de Poutine. Il fait tout ce que le petit Vlad ne peut pas faire lui-même : il pisse sur l’unité européenne, il pisse sur les droits de l’homme, il pisse sur l’OTAN. Il nous assure que la Crimée et l’Ukraine appartiennent au Saint-Empire russe, que le Moyen-Orient appartient aux Juifs et aux Saoudiens, et merde à l’ordre mondial ! » Le ton est donné, la leçon de géopolitique peut commencer.