Beaucoup d’adultes, espérons-le, ont connu l’enchantement qui commençait avec « il était une fois » qu’une voix aimée de l’enfance lisait ou inventait pour eux avant le sommeil. Et, espérons-le aussi, ils s’en souviennent et s’en émeuvent encore. Ou bien devenus étudiants en lettres peut-être ont-ils épluché la Morphologie du conte du formaliste Propp qui éteignait la magie… Grimm, Perrault, Andersen, Henri Pourrat, et ces histoires qui portent de si jolis titres, Aladin et la lampe merveilleuse, Blanche–Neige, Les contes du chat perché de Marcel Aymé, les Contes de pluie et de lune venus du Japon, d’autres en nombre, amérindiens, soufis, hassidiques, africains, inépuisable trésor de la littérature orale qu’ont enrichi chaque province de tous les pays, chaque culture de la planète, pensons-nous souvent à y puiser alors que tant de préoccupations et de projets nous requièrent et nous grugent ?
Henri Gougaud, avec sa fougue coutumière, son humour et sa force de persuasion, ne compose pas ici un florilège comme il l’a fait par exemple dans le Livre des chemins, mais il rassemble quelques remarques qui affichent la plus grande liberté. Le titre même ne laisse aucun doute sur son idée maîtresse puisqu’il affirme qu’une transformation intérieure est possible chez celui qui prête l’oreille. Jamais doctoral ou moralisateur – ce serait mal le connaître ! – avec toujours un exemple – évidemment – pour illustrer son propos, Gougaud parle de ce qui aura été sa grande passion et, pourrait-on dire, sa croisade. Il part d’un étonnement : ces « histoires imaginaires destinées à instruire en amusant », comme le dit le dictionnaire, « pourquoi elles, si négligeables, ne se sont-elles pas égarées » alors qu’elles viennent de la nuit des temps ?
La diversité des thèmes, des tons et des intentions est pour quelque chose dans cette pérennité. Facétieux, comiques, grivois, servant des mises en garde, des leçons inattendues, les contes ont en commun de « ne désespérer jamais de la condition humaine ». Ils peuvent donc nous aider à vivre ou à revivre. Souvent ils déconcertent par leur récit même ou par leur conclusion. Le pauvre berger devient un héros, l’animal redoutable se souvient du geste de son bienfaiteur, le bûcheron négocie avec le Malin et souvent le roule dans la farine, le bouffon ou le simple d’esprit prononce des jugements pleins de sagesse. Le conte opère souvent un renversement, voire une inversion des valeurs sur lesquelles nous appuyons notre vie et où entrent préjugés, aveuglement, ignorance ou sottise. En les culbutant, les contes créent un autre ordre.
Prisonniers de notre mental, nous ne savons ou ne voulons voir et juger que d’après des catégories toutes faites. C’est-à-dire, notre intuition atrophiée, nous ne percevons plus les forces élémentaires à l’œuvre dans la nature et chez les êtres, l’invisible, l’irrationnel, le mystère de ce qui est. Les contes, eux, nous ramènent à la confiance dans le présent et l’avenir, au rire bienfaisant, au simple plaisir de l’histoire. À l’essentiel puisqu’ils nous disent comment « accueillir les choses de la vie ». C’est là le paradoxe : eux si naïfs, si simples, ont le pouvoir d’aider « à l’accroissement de la conscience » qu’il nous arrive de chercher ailleurs, dans les discours, les raisonnements, les méthodes ou les dogmes. Véritable histoire morale de l’humanité, les contes transmettent une sagesse que les hommes ont élaborée pendant des millénaires. Gougaud nous entraîne dans son rêve et son credo : on peut à travers les contes puiser une « éternelle vigueur » parce qu’ils nous font toucher une autre vie possible. Il en vient à poser une question qui fait écho à celle dont il était parti : « Et si les contes étaient les éveilleurs d’un savoir impossible à dire autrement ? » Question qui porte en soi sa réponse, et une certitude.
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