Le « Nord » dont il est question ici n’est pas que géographique. C’est au pays de l’intime que nous guide l’auteur, en suivant les routes de la grande nature.
Jean-Louis Courteau a de multiples cordes à son arc. Peintre, sculpteur, plongeur et directeur du Centre d’interprétation des eaux laurentiennes, situé à Lac-des-Seize-Îles dans les Laurentides, il trouve encore le temps de produire des écrits remarquables. Après Seize îles (XYZ, 2021), où il conviait à l’admiration des paysages et de la vie subaquatiques, le propos de Remonter le Nord est riche en évocations du monde forestier. Présenté comme un roman, le livre est de toute évidence largement inspiré des souvenirs personnels de l’auteur. Dès les premières pages, le narrateur laisse filtrer son questionnement sur la relation avec son père. Dans quelle mesure son géniteur, hautement doué pour la chasse et la pêche mais peut-être moins pour son rôle de père, a-t‑il contribué à faire de lui l’artiste explorateur qu’il est devenu ? Le questionnement se déploie dans le cours du récit, sans qu’une réponse définitive lui soit trouvée. Il en découlera néanmoins qu’une destinée n’est pas toute tracée d’avance et qu’elle se précise au fur et à mesure.
Initié dès l’enfance à la traque du gibier et à l’hameçonnage du poisson, le narrateur en sera marqué pour la vie. Se remémorant cette période d’apprentissage, il prend conscience rétrospectivement de l’individuation de son sentiment à l’égard de la nature. Quand un de ses héros adultes coupe une nageoire pectorale du poisson trop petit avant de le remettre à l’eau, afin de le reconnaître lorsqu’il le reprendra éventuellement plus tard, le jeune garçon désapprouve le geste en son for intérieur. De même, il porte très tôt une attention aux paysages qui préfigure sa vocation de peintre. « J’étais fasciné par ce vert si riche et si lumineux, ces plantes étranges qui savaient nager. Les exotiques nymphéas et nénuphars, bien sûr, mais aussi les flèches d’eau bleu-mauve, les chapelets de feuilles lancéolées des potamots, comme des notes de musique sur la portée ondulante des lames paresseuses des rubaniers. »
Tout en refaisant en pensée son parcours, le narrateur entraîne le lecteur dans ses rencontres avec de nombreuses espèces animales : certains poissons et mammifères dont les noms sont familiers, comme le doré, le brochet, la loutre, le castor, l’orignal ; d’autres beaucoup moins, comme la chélydre serpentine ou le carcajou. Et les rencontres relatées ne sont pas que du domaine animalier. Notamment, un certain Honoré Michaudville, sorte d’ermite coureur des bois, est dépeint avec grande considération et cité en exemple pour son style de vie libre, en marge du système de travail productif. À l’âge adulte, le narrateur devenu peintre et sculpteur sera lui-même un peu ermite, n’entretenant une relation d’amitié qu’avec un petit nombre de camarades vouant comme lui un culte aux séjours à l’écart des régions habitées.
Tout au long du livre, l’auteur exprime sa ferveur pour une notion de nord très large, comprenant à la fois le point cardinal indiqué par la boussole, les territoires au-delà des régions densément peuplées et, aussi, un appel au dépassement de soi. De la région des Laurentides au Nunavik, où coule la majestueuse rivière George, Remonter le Nord célèbre les milieux fréquentés par l’auteur, mais aussi ceux de ses fantasmes. « Le monde qu’on habite n’est pas que celui où l’on marche, mais aussi, surtout peut-être, celui dont on rêve, celui qu’on sait qu’on explorera ou qu’on reverra. » Jean-Louis Courteau invite le lecteur à rêver avec lui.