Qui est donc ce môme adulte qui raconte son histoire ? Ce psy-de-la-rue-malgré-lui, sans diplôme et sans ambition ? Ce je-m’en-foutiste à qui une vieille tante alcoolo lègue un caniche « mélangé pure race » qui a les dents plus blanches que les siennes ? Il s’agit d’un type somme toute assez sympathique, Roman de son prénom. En quête d’il-ne-sait-trop-quoi, Roman parcourt la vie comme d’autres traversent la rue, distraitement, sans but précis, comme pour occuper ses journées. Sauf qu’il ne passe jamais inaperçu « le » Roman : inévitablement, les dingues et les autres le choisissent, à son corps défendant, comme confident.
Récit d’un branleur est avant tout une portion prétranchée de la vie du patron fondateur de la Société des Plaintes, un émincé d’existence comme tant d’autres parts de vie à ne rien foutre, à se chercher et à survivre. Or le récurage du foie de tata Julia, aussi riche qu’alcoolique, arrive à point nommé puisqu’en confiant sa chienne Véra à Roman elle lui file, pour le bien-être de la chienne, une somme plutôt rondelette. C’est dans le Jardin des Plantes qu’il a l’idée d’ouvrir une agence, un service d’écoute dont le prix variera selon la longueur des lamentations : « Pour le fric, merci Julia et merci Véra. La chienne était une espèce de mécène. »
Le jeune auteur de 25 ans signe ici un premier roman bien de sa génération. Ce récit me rappelle ceux de Chimo, et plus particulièrement J’ai peur qui mettait en scène un autre paumé dont le regard touchant se posait, à froid, sur les réalités d’aujourd’hui. À la mort d’un locataire de son immeuble, Roman constate : « Je n’avais jamais été ému par le moindre humain me racontant ses problèmes et j’étais là, fixe et bouleversé par trois cafards que je considérais en deuil. »