Cette deuxième biographie de Raôul Duguay (après Raôul Duguay ou Le poète à la voix d’ô, de Christine L’Heureux, 1979) nous rappelle que le personnage a été beaucoup plus qu’un chansonnier, qu’on peut le considérer comme un passeur d’idées nouvelles et un chantre des avant-gardes dès la fin des années 1960, depuis sa collaboration au groupe L’Infonie.
Le parcours de cet enfant de Val-d’Or ressemble à celui de sa génération : famille nombreuse, enfance studieuse, éducation religieuse au Séminaire de Chicoutimi, puis rupture. Il y eut alors la libération des mœurs durant les années 1960, la découverte des contre-cultures comme la méditation et le yoga, une prise de conscience écologique bien avant l’invention du « développement durable », les recherches spirituelles auprès d’une variété de gourous, l’alternance de révélations et de désillusions. Raôul Duguay a souvent été parmi les initiateurs de ces mouvements. Il était présent lors de la première Nuit de la poésie de 1970, récitant des poèmes sonores influencés par le futurisme et l’acméisme russes des années 1910. Habitués à « commercialiser » des musiciens enfermés dans leur image univoque, ses producteurs demandaient sans cesse à l’écrivain, musicien, acteur et cinéaste de se limiter à une seule étiquette, mais il était un créateur multidisciplinaire : « Ça ne marchera pas, Raôul. Il faut que tu choisisses ».
Fait inusité : le chanteur a d’abord habité les réseaux alternatifs comme la télévision communautaire avant de devenir populaire auprès du grand public ; il était déjà connu d’une frange de son public avant même de lancer son premier disque (Alllô tôulmônd, 1975), chantant ses chansons a cappella, face à l’écran, dans un plan fixe. Quarante ans plus tard, celui qui utilisait le pseudonyme Luôar Yaugud se sent fier d’être l’homme d’une chanson inoubliable et épique, devenue « l’hymne des Abitibiens », « La Bittt à Tibi », dont le titre comprend pas moins de trois « t » successifs (on trouve le texte intégral de cette chanson dans le livre).
Peut-être sans s’en apercevoir, Raôul Duguay a survécu à bien des périls de son époque : il a su éviter les dérives et les excès. Par son portrait étayé et précis de ce créateur audacieux et humain, Louise Tremblay donne ici un modèle de biographie qui relie un parcours artistique à celui du Québec des années 1970 et de ses innovateurs, allant du compositeur Walter Boudreau au cinéaste Jean Pierre Lefebvre et tant d’autres collaborateurs. La grande qualité de Louise Tremblay est d’apporter érudition et contextualisation aux propos recueillis, ce qui ajoute une profondeur rare : on cite par exemple Victor-Lévy Beaulieu et Fernand Dumont au passage pour situer le mouvement des idées au Québec.
L’auteure résume judicieusement le parcours de cet inclassable : « […] l’artiste a toujours refusé de se laisser étiqueter et il a parfois payé cher son éclectisme et sa polyvalence ».
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...