Ingénieur chimiste de formation, partisan invétéré de la transdisciplinarité, Marcel Locquin est reconnu pour ses travaux dans des champs très variés. Ses ouvrages dans le domaine de la mycologie et ses études sur les microscopes ont fait de lui un scientifique de premier plan. Depuis plusieurs années, il s’intéresse à la paléolinguistique, ce dont témoigne son plus récent ouvrage, Quelle langue parlaient nos ancêtres préhistoriques ? Le chercheur a été amené, dans sa quête d’un « isomorphisme dans le fonctionnement du vivant », à se pencher sur le phénomène des langues et à tenter de trouver, par-delà la diversité de celles-ci, des points de repère communs. Remontant au-delà des plus anciennes traces écrites de l’homo sapiens, il explore les phonèmes archétypaux, sortes de fossiles phonétiques qui, selon lui, constituent les « briques élémentaires du langage » et se perpétuent dans nos langues modernes. Recherche passionnante que celle-là, qui conduit le savant à récupérer les acquis de nombreux domaines disparates ‘ de la récapitulation ontophylogénique au cladisme en passant par la théorie des catastrophes de René Thom. Marcel Locquin est en fait un véritable modèle d’éclectisme (on l’a à l’occasion comparé au comte de Champignac, complice de Spirou et Fantasio dans leurs aventures), ce qui transparaît dans son ouvrage.
Quelle langue parlaient nos ancêtres préhistoriques ? se présente sous forme d’un entretien réalisé par Vahé Zartarian auprès de Marcel Locquin. Prenant d’abord le temps d’expliquer posément en quoi la paléolinguistique constitue une science légitime, le chercheur en vient à dresser un panorama de l’évolution des hominidés, question de montrer comment, par l’entremise par exemple de la toponymie ou des noms de mets, il s’avère possible de retracer l’évolution du langage, selon les migrations successives des diverses espèces humaines ou même préhumaines. Le travail sur les phonèmes archétypaux donne lieu à de belles analyses étymologiques et permet de reconstituer le plus exactement possible (compte tenu du caractère évanescent de ces « fossiles immatériels ») le langage des premiers humains (en annexe se trouve d’ailleurs une « Analyse résumée des significations des phonèmes archétypaux et de leurs différenciations voyelliques » que le néophyte utilisera pour s’exercer à parler comme ses ancêtres lointains). Aux yeux du profane ou du chercheur ancré sur ses positions, les investigations de Marcel Locquin apparaîtront probablement comme le résultat d’élucubrations (l’auteur se défend bien de « sombrer dans l’occultisme ») ; pourtant, les perspectives qu’elles offrent rendent manifeste la nécessité d’ouvrir les portes du savoir à la transdisciplinarité : littérature, psychologie, anthropologie, mais aussi sciences pures ont tout à y gagner. Le langage, en tant que mémoire commune de l’espèce humaine, facilite cette ouverture, ce que Marcel Locquin expose ici d’admirable façon.