Quand les hommes parlent aux dieux, un de ces livres pour la vie qui touche chacun, où qu’il vive, quelle que soit la manière dont il assume ou non la perspective de son désir, de sa mort, de son passage épisodique sur cette terre, ce lieu où quelqu’un doit le reconnaître s’il veut prendre la mesure de son destin. Car les quelque 700 prières rassemblées par Michel Meslin dans ce remarquable ouvrage de spiritualité et d’anthropologie religieuse disent jusqu’où vont l’angoisse et l’espoir des individus et des civilisations qu’ils construisent et qui les accueillent ou les « abjectent ». Se demander comment et à l’occasion de quels textes l’on prie aujourd’hui demeure quant à moi aussi pertinent que d’essayer de percer les coulisses du terrorisme et de l’escroquerie – que dis-je ? de la barbarie – humaine. Oui, la racaille humaine prie ! Pour se sauver, jouir, tromper ses semblables, ses ennemis ? D’aucuns répliqueront que c’est d’abord le prix qui nous guide s’il n’a pas observé le cœur silencieux du monde. Peut-être doit-on envisager la possibilité que l’homme soit autre chose qu’un assassin.
Jacques Lacan, prolongeant la réflexion menée par Freud dans Moïse et le monothéisme et Malaise dans la civilisation, avançait que la spiritualité passe nécessairement par une reconnaissance de la fonction du Père en tant que sublimation. À lire cette traversée des grandes civilisations (on trouve en effet, superbement présentées, des prières de l’Égypte et du Proche-Orient antiques, de l’hindouisme, de la Grèce et de la Rome antiques, du bouddhisme, du judaïsme, de la chrétienté, de l’Islam et d’Afrique noire), on constate jusqu’à quel point est incontournable l’altérité. Prier, rappelle Michel Meslin, c’est s’adresser à l’autre – même quand on est engoncé dans ses replis narcissiques et mortifères – parce que prier, c’est d’abord poser une demande au divin sous forme de mots ou d’artefacts (textes, statuettes, peintures, etc.). Le don et l’échange qui modulent les rapports entre humains seraient incompréhensibles sans ce dialogue inévitablement inégal entre l’homme et Dieu, dialogue qui engage la possibilité même de la communication, laquelle s’exprime dans l’histoire par des démarches individuelles transformées en rites collectifs et en liturgie. En cette époque désertique, où l’homme actualise politiquement la perversité à grande échelle ; en cette époque où il semble qu’on veuille nous faire oublier Auschwitz, ce livre doit être lu.