Le cancer a fait son nid et il épuise une à une les élégantes résistances de madame R., les ruses de la médecine, les recours de l’entourage. Auprès de madame R. s’activent les « professions de foi », c’est-à-dire les métiers et les services qui, chaleureusement et humblement, empêchent la mort de se montrer encore plus inhumaine : l’infirmière, la coiffeuse à domicile, « monsieur Oxygène », l’épicière, l’infirmier, la femme médecin… Finement, la fille de madame R., narratrice pourtant émouvante, réserve le plus beau du récit aux « professions de foi » et se cantonne dans un portrait aux allures de tachisme ou de pointillisme. Beau paradoxe, ce sont les « professionnels » de la périphérie qui osent les affirmations, les descentes dans l’âme et les émotions gratuites ; pour sa part, la fille-narratrice s’en tient presque toujours à des images fugitives, à des rappels à peine ravivés, à des instantanés saisis au vol par l’affection et confiés à une mémoire fidèle. L’ensemble crée une impression d’hommage pudique, d’heureuse rencontre entre le sentiment filial toujours contenu et la crédibilité sans limite des verdicts libres et fiables.
Une constante surprendra peut-être ceux qui aiment bien vilipender le fameux système : les « professionnels » savent écouter, prendre le temps, moduler les normes pour en tirer du sur mesure, apprivoiser dans le sens que donnait à ce savoir-vivre le Petit Prince. L’hôpital laisse partir la patiente dès que le domicile semble plus indiqué, tel médecin s’efface quand il sent qu’un autre fera mieux que lui, l’épicière se sent mieux quand elle a pu établir le lieu de résidence de madame R., l’infirmier administre ses massages jusqu’à garder sur ses mains l’odeur de vanille que lui reproche sa fiancée… Seul à encourir les foudres de la narratrice, le médecin-chef demeurera englué dans ses certitudes. Quand la mort se permettra de frapper au moment où cet omniscient lui avait interdit de le faire, c’est la camarde qui se sera trompée, pas lui. Coup de griffe de la narratrice, le médecin-chef était plus chef que médecin… Beau portrait d’une mère, splendide merci aux accompagnateurs discrets.