Un recueil de proses méditatives peut servir plusieurs desseins : permettre d’entrer plus avant dans une pensée déjà fréquentée ou de découvrir les points forts d’un auteur ayant déjà exposé les articulations essentielles de son travail. C’est le cas avec ce magnifique petit ouvrage. Toujours aussi proche de Walter Benjamin et de Michel Foucault (davantage du premier que du second, mais plus obscurément de Jacques Lacan), Giorgio Agamben poursuit la mise en place de la topologie utopique esquissée dans Stanze (1977) et dans laquelle le fantasme, le désir et la parole étaient articulés en un nSud borroméen. C’est pourquoi sa philosophie bio-politique doit se lire à côté du chant de la morale bêtifiante du bonheur avec laquelle on nous empoisonne les oreilles. On pourrait croire que s’occuper à notre époque crépusculaire des anges et du Genius latin revient à un conservatisme renforçant les actuels hédonisme et ascétisme de droite (du culte du bien-manger aux clubs échangistes en passant par les moulins à prière, les sessions de healing aux États-Unis). Nenni !
Quand Giorgio Agamben se penche sur les acceptions de la parodie chez Elsa Morante, c’est pour tracer un champ trans-historique dont une des lignes généalogiques relie Pétrarque au Marquis de Sade et assoit la très actuelle question de la pornographie dans la scission essentielle des formes de langage. Quand il éclaire le sens de la profanation et de l’anéantissement des moyens purs propre au capitalisme, quand il traite des assistants peuplant l’œuvre de Franz Kafka (anges ou messagers) et la littérature pour enfants (gnomes, fées, génies et autres personnages fabuleux), du tourisme, du musée, du caractère auratique et prophétique de l’expérience photographique ou encore de religion spectaculaire, c’est pour soutenir une humanisation conséquente échappant aux fondamentalismes. On dira que de tels propos ont fait leur temps, à une époque où on ne veut surtout plus entendre parler de la pensée. Ce point de vue cède au chantage des plus offrants. En évoquant les crises de Nastasia Filippovna, Giorgio Agamben marque ce qu’il en est à ses yeux d’une vie se jouant dans toute sa force sans sombrer dans l’extrême à bon marché auquel nous assistons aujourd’hui. « Éthique est la vie qui ne se contente pas de se soumettre à la loi morale, mais qui accepte de se jouer dans ses gestes de manière irrévocable et sans la moindre réserve. » Lacan n’aurait pas été en désaccord avec ce geste, cet acte, ce vide, ce « désapprentissage de soi ».