C’est probablement avec une pointe de moquerie envers ces nombreux ouvrages qui suggèrent le Carpe diem comme antidote au stress de la vie moderne que l’auteur écrit en quatrième de couverture : « Saisissez le moment présent ».
À mille lieues de la littérature de croissance personnelle, Yannick Renaud se penche ici sur l’éphémère et l’insaisissable, nous proposant une expérience centrée sur le temps, dimension de nos vies qui ne semble pouvoir être décrite que par son infatigable mouvement. Celui qui a été directeur général de la revue Estuaire pendant plus de dix ans aborde, par ailleurs, un thème contraire à celui qui a guidé son recueil précédent, Éclairer le ciel, exposer l’ombre, où il s’intéressait plutôt à la faculté que les photographies ont de figer des instants précis.
Le livre se divise en deux parties. « La nostalgie du présent », la première, suggère l’idée selon laquelle le temps transforme constamment le regard que l’on porte sur le passé et que la possibilité de faire exister un seul instant dans toute sa complexité semble hors d’atteinte. Un enchaînement de textes très denses recrée cette perception diffuse de celui qui fixe son esprit sur le temps qui fuit. Cet illusoire moment présent apparaît alors comme un désordre auquel l’entendement peine à attribuer un sens, un chaos conduisant à une sorte de constat fataliste et désenchanté : « des actions on jauge l’irrémédiable, des leçons on juge l’inaccessible ».
La seconde partie, « Le propriétaire du présent », tire son titre d’un recueil de Roger Des Roches et poursuit la complexe énumération de ce maelstrom de perspectives hétérogènes dont le principal point d’assise se trouve dans une réciproque synchronicité. Ici encore, force est d’admettre que la possibilité de s’approprier ce flux temporel n’est qu’un leurre.
Sur le plan de la forme, les textes qui composent le livre s’offrent tels des blocs compacts, parfois opaques. Le tout et son contraire s’y conjuguent, mais tous les verbes s’accordent au présent. Aussi leur sujet n’a rien du « je » du poète qui voudrait s’inscrire dans le texte. Le « on » indéfini lui est judicieusement préféré. Ce choix grammatical cadre d’ailleurs parfaitement avec l’idée que le temps demeure un concept à la fois flottant, incertain et illimité, mais aussi paradoxalement régulier. Ainsi, à l’instar d’un mécanisme d’horlogerie, voire mieux, d’un métronome, la syntaxe des phrases affiche une inébranlable rythmique.
Sans contredit, il s’agit d’un recueil sombre, mais étrangement lumineux par les images surprenantes qu’il met en parallèle, un recueil déstabilisant qui démontre une manifeste maîtrise de l’écriture poétique.