Après un retour de France précipité, où son contrat de trois ans pour le compte d’une firme d’ingénierie a été écourté de moitié, Fred Proulx s’offre une crise du quart de siècle. À Montréal, il revoit son cercle d’amis composé d’Olive, de Tariq, d’Alder et de la belle Elsa, mais la joie des retrouvailles se fane assez rapidement. L’« éternel chokeux » fait face à l’accablement généré par la précarité de son statut, sentiment décuplé par l’exubérance de la métropole où il amorce sans enthousiasme sa scolarité de maîtrise : « J’étais de plus en plus convaincu que je ferais mieux d’aller vivre dans le bois ». S’exiler, la solution semble aller de soi pour Fred, qui n’hésite pas à sauter dans le premier avion en partance pour la Colombie avec le but d’y effectuer une sorte de « cleansing trip ».
Il faut dire que de nombreux prédécesseurs ont expérimenté ce remède contre la civilisation. Depuis Diogène le Cynique jusqu’à Jon Krakauer, les thèmes de la recherche d’une vie plus simple, en harmonie avec la nature, et de la libération des liens technologiques ont été sans cesse rebattus. A priori, Marie Ève Gosemick navigue donc en eaux connues et balisées de longue date. La jungle colombienne où se retire son antihéros a cependant plus à voir avec le Big Sur de Kerouac qu’avec le Walden de Thoreau. En ces territoires plus ou moins reculés, Fred perd de vue l’objet de sa quête. Il s’étourdit avec des voyageurs de passage, rencontre des femmes tout aussi passagères, fume de l’opium et biberonne gaiement avant de toucher le fond lors d’un incident de beuverie. À peine trouve-t-il un sain exutoire dans son voyage à moto vers Buenaventura qu’un accident y met aussitôt fin. Dépité, il repart à Montréal, la queue entre les deux jambes : retour à la case départ.
La principale force de la romancière tient à ce qu’elle donne corps à ces paysages, villes et villages, restitue leur exotisme et, ce faisant, leur pouvoir de séduction. De plus, avec ses forces et ses faiblesses bien humaines et son âme de cynique désabusé, Fred est un personnage sympathique et attachant. Tout n’est pas parfait pour autant dans Poutine pour emporter. Quelques passages de critique sociale laissent un peu trop voir leurs coutures. Mais surtout, au contraire de l’espagnol qui procure un effet de réel indéniable, l’usage immodéré du franglais offre au mieux un effet réellement irritant. « There’s something qui va te gosser », comme le dit Alder…
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