S’il fallait s’en tenir aux comptes-rendus faits par les journalistes de tous les médias, il serait inutile de lire Pour tout vous dire, cette autobiographie de Jean Garon, préfacée par Jacques Parizeau.
Tout en effet a été rapporté des épisodes notables aussi bien que banals de la vie, de l’action et des idées de cet ex-ministre des gouvernements Lévesque et Parizeau, et ex-maire de Lévis, avant, pendant et après son long et imposant parcours politique.
Sauf l’essentiel, s’il est vrai comme l’affirme Jean-Paul Sartre qu’« [u]n homme est toujours au-delà de ce qu’il fait ».
Or, Jean Garon est la parfaite illustration de cette affirmation du philosophe.
Si bien qu’en même temps que je rappellerai, compte-rendu oblige, les faits et les prises de position les plus signifiants de la vie privée et publique de Jean Garon, je m’aventurerai dans la mise en lumière de la haute stature de l’homme qui repose tout entière sur l’authenticité de ses engagements dans l’ordre de la pensée aussi bien que de l’action, tous parfaitement intégrés dans sa vision complexe de la nécessité de ses choix.
Les pages consacrées à sa vie privée sont peu nombreuses et se rapportent presque toutes à son enfance et à son adolescence, passées dans une famille unie par le partage des mêmes traditionnelles valeurs sociales et culturelles canadiennes-françaises de la première moitié du XXe siècle. Il faut pourtant retenir l’admiration que Jean Garon a pour son père, un homme audacieux et progressiste, dont l’influence a été déterminante sur lui. Il dit lui devoir son option du nécessaire partage de la richesse et son sens de l’importance du rôle de l’État social-démocrate dans le développement équitable de la société.
Moins nombreuses encore et plus éparses sont les pages consacrées à ses relations avec son épouse, Judith Schlimgen, une Américaine d’origine allemande, mais il sait en faire ressortir la profondeur et la beauté et leur apport essentiel au bonheur de sa vie privée et à l’aplomb de son activité politique.
Le propos central du livre tient toutefois dans le récit et l’autoappréciation de l’action politique de son auteur. Action conçue et décrite avec justesse comme un militantisme, soutenue par l’objectif constant de contribuer à l’avènement de l’indépendance du Québec. Activité militante amorcée par son adhésion au Rassemblement pour l’indépendance nationale dès le début des années 1960, poursuivie dans celle du Parti québécois dont il a été un des fondateurs, déployée au ministère de l’Agriculture dont il fut le remarquable et inoubliable ministre de 1976 à 1985. René Lévesque l’y nomma dès le lendemain de son arrivée au pouvoir. Cet intellectuel d’envergure, professeur d’économie à l’Université Laval, n’ayant jamais vécu ni travaillé sur une terre, fut d’abord étonné par cette nomination, bien qu’il reconnût avec monsieur Lévesque que tout l’y prédestinait : sa formation d’économiste, ses années de militantisme dans le Québec des régions, ses expériences dans l’entreprise privée, notamment à Ciment Québec, sa rare capacité d’écoute des gens, son aptitude à évaluer rigoureusement les situations et à décider. Il fut à la hauteur des attentes de son chef. Les nombreuses lois adoptées par son ministère, qui toutes ont modifié avantageusement l’activité agricole et celle des pêches et de l’alimentation en sont la preuve incontestable.
Comme il honora le choix de Jacques Parizeau qui le nomma ministre de l’Éducation, en 1994. Comme il se dévouera corps et âme dans les campagnes référendaires de 1980 et 1995. Toute cette activité accomplie sans jamais négliger son travail et son rôle de député qu’il a toujours considéré comme primordial.
Souligner la largeur de vue de Jean Garon, ses qualités de travailleur acharné, ses débats soutenus avec autant de modération que de passion, ses combats menés avec autant de ruse que de droiture, ses réalisations durables, toutes motivées par un sens aigu de son devoir de servir l’intérêt public, son inébranlable conviction de la nécessité de l’indépendance, sa critique du manque d’audace de ses compatriotes, de leur peur de s’assumer comme peuple libre et souverain, est encore n’avoir rien dit de la complexité de la pensée et de l’action de l’homme politique le plus authentique de notre histoire récente. Authenticité qui tient à sa parole pleine, sûre d’être conforme à l’action accomplie, qui tient dans ses engagements qui ne s’écartent jamais des promesses faites, qui tient dans sa relation d’adhésion, voire d’adhérence aux tours et détours de la longue marche de sa nation vers l’indépendance.
Ce qui n’empêche d’aucune manière l’erreur. À mes yeux, c’en fut une, magistrale, pour Jean Garon de substituer la proposition de souveraineté-association au projet d’indépendance. Il ne la reconnaît pas, ne serait-ce que par conscience qu’on ne refait pas l’histoire. Dans sa conclusion, il revient toutefois à l’essentiel, en faisant un vibrant appel au retour du militantisme.
Ce n’est pas une œuvre littéraire, mais cette autobiographie écrite dans une langue impeccable et avec le style enlevant de l’homme est d’une lecture agréable. Il faut cependant lire Pour tout vous dire pour découvrir dans toute sa complexité et son étendue la valeur ajoutée qu’apporte à la politique l’action authentique d’un homme authentique.