Michel Garneau, un de nos auteurs québécois les plus prolifiques, a fait un pacte avec lui-même alors qu’il traduisait Book of Longing (Livre du constant désir) de Leonard Cohen : pour chaque poème traduit, il en créerait un lui aussi. Ainsi sont nés les Poèmes du traducteur. Qu’on parcoure le recueil en parallèle avec celui de Cohen (il y fait écho, c’est inévitable !) ou qu’on le lise isolément, il ne laisse pas insensible. Composé de poèmes simples, évocateurs, déroutants (comme ceux de Cohen), le recueil suffit à lui seul à éclairer bien des vérités et à extraire l’extraordinaire du banal et le sublime de l’ennui.
Parallèlement au dur et méticuleux labeur de la traduction, Garneau s’offre le plaisir d’écrire (tout en se lançant dans un marathon d’écriture). Son recueil baigne ainsi sous le soleil d’Épicure et de la paresse, tantôt ludique et tendre, tantôt plus sombre et ironique. L’auteur épluche la vie « jusqu’au trognon / jusqu’au cœur de l’absurdité », pour trouver comment « ne pas devenir fou niaiseux ». La poésie du désir n’a d’autre choix que de se casser la gueule sur l’absurdité de la vie.
À lire les poèmes, on imaginerait facilement Garneau qui les récite, qui rit même parfois, tellement l’écriture semble vivante. Le regard du poète se tourne vers le passé et, réussissant à échapper à la nostalgie, s’alimente d’une quête lucide des souvenirs, des folies, des femmes, de la fête, de la famille, de l’intimité. Ce regard poétique scrute également l’avenir, la vieillesse et la mort à venir. Les poèmes de Garneau se situent à l’interstice de ces deux regards ; ils croquent sur le vif la réalité et incitent à vivre le moment présent dans son jaillissement. Désirs et soupirs se répondent ainsi dans un goût de se fondre dans la vie, dans une simplicité probante qui désamorce toute vérité singulière.
Les Poèmes du traducteur collent à l’écriture de Cohen par leur simplicité déroutante, aussi crue que belle. Ces poèmes de Garneau libèrent la parole, le mot, le langage. Ils incitent à l’errance, à la liberté. C’est pour le lecteur, comme pour le poète, une expérience de soulagement, « parce que la vision poétique du monde / [ semble] la seule qui n’emprisonne pas ». Un livre comme un vent frais qui à la fois détend et gifle.