En 1920 naissait en Bucovine – une ancienne province de l’Autriche annexée depuis deux ans à la Roumanie – un certain Paul Antschel. Ce dernier, d’origine juive, apprit l’allemand d’une mère germanophone qui, comme tous les habitants de Czernowiz, sa ville natale, appelée aussi « petite Vienne », était attachée à une monarchie qui leur avait accordé l’égalité des droits civiques. Mais arriva ce qui devait arriver : la moitié de la ville composée de juifs fut envoyée dans des camps nazis, certains comme Paul réussirent à échapper à la menace. Son père d’abord, puis sa mère y périrent. On dit qu’il ne se remit jamais tout à fait de la mort de sa mère. En 1947, il publia à Budapest trois poèmes en langue allemande sous le pseudonyme de Celan, moins préjudiciable selon lui à une époque où sévissait encore l’antisémitisme.
Selon John E. Jackson, Paul Celan aurait pu écrire en hébreu, en roumain, en russe, mais il décida d’exprimer sa judéité, sa différence en somme, à l’intérieur d’une langue qu’il aimait et exécrait tout à la fois. Cette proposition n’explique pas tout de la poésie de Celan, mais « en définit l’horizon ». Dans sa présentation des quelque quarante poèmes, le traducteur démontre à quel point cette poésie était une contre-langue, aussi douloureuse que chargée d’amour. Un essai, moins attaché à la vie du poète, poursuit cette thèse et clôt l’ouvrage.
Difficile pour une néophyte d’apprécier la qualité de cette nouvelle traduction des poèmes de Paul Celan. On notera tout de même la musicalité des vers et la profondeur de l’analyse qui a sans doute précédé cette réécriture, nourrie par une connaissance humaine du poète – John E. Jackson l’aurait rencontré de son vivant. On se réjouit qu’ait été inclus à l’ensemble, des extraits de deux recueils ignorés dans l’édition de poche de Gallimard, Choix de poèmes. Les nombreuses coquilles dans la présentation et l’essai portent toutefois ombrage à la traduction en tous points méticuleuse.