Cette histoire commence au retour d’un voyage. Une femme marche sur les ruines du monde qu’elle a quitté, un monde qui avait son dedans et son dehors, et dont les racines plongeaient dans le mythe d’une enfance abritée dans le giron de Dieu, à l’ombre du diable. Débute l’apprentissage d’une vie hors des murs, sur l’horizon dorénavant ouvert d’un enfer allumé par des mains semblables aux siennes: Auschwitz. La mise en rapport avec cet abîme a entraîné l’intériorisation du diabolique, de la limite, de la menace, du noir, du vide ‘ il n’y a plus de refuge. C’est à la douleur des mères d’Auschwitz, frappées d’impuissance, que la femme s’identifie, à l’idée de leurs enfants « avec des bouches pour la soif / comme l’enfant près de toi / sa faim, sa soif / et des promesses que tu tiendrais / à bout de bras / s’il ne s’agissait que de toi / mais ici c’est le monde / et sa folie / puanteur de sang cru / et de chiens lâchés sur leurs proies ». La volonté de tenir lieu de rempart provoque une régression à l’état anonyme du vivant, vulnérable, instinctif, voire affolé devant l’éventualité d’une guerre nucléaire, qui ouvre une fenêtre sur la mort à même l’espace domestique. Le « je » s’éloigne dans un « tu », moins pour se distancier de soi que pour tendre la parole à cette intelligence animale, déplacer le foyer de la conscience et des mots. Il en résulte un discours pulsionnel, où les vers, courts, sont les jalons d’un parcours tendu vers le ressaisissement, les pas d’une avancée exigeante, sans cesse relancée, en direction d’un nouvel équilibre: comment continuer d’une façon qui soit commensurable au drame des camps, comment vivre décemment tout en étant conscient du tiers-monde, de la menace nucléaire, de l’impunité des empires financiers? À partir du constat d’un monde partant en déshérence, quelle vision de l’homme et de l’avenir transmettre à l’enfant? Ça parle à partir du corps souffrant, sur le lieu du combat pour la vie et sa dignité, au nom d’une humanité commune, à partager; ça cherche frénétiquement, comme l’aiguille d’une boussole, de l’ouverture, un cap à suivre. Louise Dupré nous place devant l’idée d’une détresse nécessaire, montre la douleur à l’origine de notre soif de beauté et d’élévation, tel un tremplin nous permettant de porter le regard plus haut que les flammes, « comme ces anciens troubadours / marchant de village en village / avec un peu de décence / à jeter / sur les guerres ».
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