L’acte de marcher est un mécanisme très simple, presqu’un réflexe, tellement commun que nous en oublions totalement les délicats jeux d’équilibre et de déséquilibre qui permettent au corps de se déplacer. Il se décline pourtant de différentes façons : lent et sans but précis, c’est une ballade. S’il comporte une facette idéologique, c’est une manifestation. Si le but à atteindre est d’ordre transcendantal, c’est un pèlerinage, tandis que le sportif, dont l’objectif est marqué d’une croix sur une carte, entreprendra une expédition. Dans tous les cas, même si les rythmes et les objectifs diffèrent, il s’agit, à la base, de l’acte de marcher dans sa forme la plus épurée.
Il faut dire que depuis que l’être humain a entrepris de devenir un bipède, il a non seulement transformé la perception du monde dans lequel il vit, mais a aussi modifié de façon irrémédiable la façon qu’il a de le penser. Nomade, l’humain a battu la planète de son pas, assurant sa propre survie. Lorsqu’il est devenu sédentaire, il a arpenté son univers immédiat en employant son pas comme unité de calcul, cela lui permettant « d’habiter un monde qui soit à sa mesure, à sa taille ».
Et comme la marche, cet acte physique, peut entraîner une activité d’ordre métaphysique, nombreux sont les penseurs qui ont vu dans le premier la source du second. Ainsi Aristote marchait tout en enseignant à ses disciples, appelés péripatéticiens – du grec peripatein, qui signifie « se promener ». Il faut dire que la marche donne « une image assez fidèle de ce que représente l’activité de penser », et nombreux ont été, dans l’histoire de la philosophie, ceux qui l’ont employée pour faire naître leur réflexion. Épicure, par exemple, entretenait un grand jardin où il se promenait tout en enseignant. Rousseau écrira : « [ ] nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds ». Et Montaigne : « Tout lieu retiré requiert un promenoir. Mes pensées dorment si je les assieds. Mon esprit ne va que si les jambes ne l’agitent ». Sans oublier Kant, dont la promenade quotidienne, précise comme un pendule, permettait aux habitants de la ville où il habitait de régler leur montre.
Au fil des pages, Christophe Lamoure, professeur de philosophie, présente l’univers fascinant de la marche et de ses multiples facettes. Après tout, la marche « est le signe qui nous rappelle à un devoir d’humilité foncière » face à notre corps et au monde dans lequel nous vivons. Délicieux.