Jean Biès affiche bien haut ses couleurs dans sa « Préface » : « […] fuyant tout conformisme, ayant vocation à dérouter le lecteur au lieu de l’infantiliser », ce dictionnaire se propose de lui faire découvrir « autre chose que ce qu’il cherchait […]. Les mots s’y veulent d’abord des stimulateurs de lucidité, des déclencheurs de réflexion » et « l’objet de [l’]entreprise » est de « renverser l’ordre dit normal […], bousculer le littéralisme des dogmes religieux et le réductionnisme laïciste […] ». Que voilà un noble et audacieux projet, se dit-on alors avec enthousiasme ! Or le livre se révèle-t-il à la hauteur de ses ambitions ?
Le dictionnaire offre de bons moments. À preuve ces quelques réflexions où le mot spirituel, qui renvoie dans l’ouvrage à « spiritualité », prend de surcroît, à l’occasion, le sens de finesse, de brillance de l’esprit : « À mesure qu’on vieillit et que la cécité menace, l’amour cesse d’être aveugle » ; « La méditation est une certaine manière de se mettre en marge pour être davantage au centre » ; « On peut dire de l’opportunisme qu’il est la versatilité des habiles ».
Par contre, plusieurs des 545 entrées (dont certaines génèrent jusqu’à huit réflexions consécutives différentes) retiennent l’attention pour d’autres raisons. Comment réagir en effet devant ces propos où l’amphigourique le dispute aux généralisations fragiles, voire abusives ? « La fin du fini coïncide avec un commencement d’Infini sans commencement » ; « Le sacré a pour fonction d’extraire du fond des opposés toutes sortes de complémentarités conciliantes et de célébrer des fiançailles d’antinomies sur l’autel du ‘tiers inclus’ ». Ouf ! On note encore des affirmations douteuses ou des approximations qui ne peuvent avoir valeur d’apophtegmes : « Contemplant l’éphémère, on devient éphémère » ; « Où qu’il aille, les pas du sage ne laissent nulle empreinte, car les neiges à venir les ont par avance effacés »… Ailleurs, des développements plus longs reflètent une herméneutique personnelle discutable.
Le lecteur sera sans doute sensible à certains tours poétiques et goûtera la vaste culture de l’auteur. Subsiste pourtant dans cet ouvrage protéiforme à performance variable un sentiment d’inachèvement qui ne peut être justifié ni par l’aveu que les « articles [sont] volontairement incomplets », ni par l’appel à la continuation par le lecteur de l’« orientation de recherche » suggérée par l’auteur, ni par l’ajout des 63 « infinitions » terminales, un néologisme signifiant l’ouverture d’une « sémantique seconde », ou « translangage », et dont les exemples donnés rejoignent l’esprit et la lettre des réflexions qui précèdent.