Le livre avait déclenché un petit scandale dans le milieu littéraire allemand à sa parution en 2006. L’onde de choc s’était même rendue jusqu’ici. Beaucoup de bruits pour rien ?
Un an seulement après l’édition originale allemande, paraît en français l’un des « romans » les plus attendus de l’automne. « Roman », c’est ainsi, en effet, que le Seuil, sans doute pour des raisons plus financières que littéraires, a catégorisé les mémoires du Prix Nobel 1999, le célèbre Günter Grass. Mais venons-en au fait : cet humaniste, ce militant pour la paix, après soixante ans de mutisme, avoue avoir joint les SS durant la Seconde Guerre mondiale. Ce secret bien gardé est d’autant plus étonnant que l’écrivain n’a jamais ménagé ses accusations à l’endroit des nazis. Comme il l’affirme lui-même à plusieurs reprises, il a honte de ce passé, et le temps, dont on dit qu’il arrange bien les choses, n’a jamais atténué le sentiment de culpabilité. Une culpabilité profondément liée au fait que l’engagement fut volontaire. Les échappatoires – le fait qu’il n’avait que seize ans lors de son incorporation en 1944, qu’il ne savait pas, qu’il était naïf -, au fond, ne l’ont jamais excusé auprès de lui-même.
Cet aveu, le passage sans doute le plus intense de l’autobiographie, n’en est pas le centre ni la fin. Après, d’autres souvenirs, plus récents, émergent, des pelures sont enlevées à l’oignon qu’est la vie et on – à commencer par l’écrivain – oublie presque l’épisode honteux. Oublions donc le début et le milieu du livre et parlons des tableaux qui suivront : les années de faim dans les camps américains, l’apprentissage du métier de tailleur de pierres, les années d’études en sculpture, puis les premiers poèmes, le premier roman, les succès. Si la honte était à la source des premières pages, dans les dernières, c’est le contentement qui domine. Trente fois plutôt qu’une, l’écrivain parlera des prix reçus, des acclamations, etc., au point où l’on se demande où tout cet étalage peut bien mener. Est-ce pour montrer comment, même la plus prestigieuse des décorations, ne peut racheter l’erreur ? Difficile à dire.