Henri Troyat est mort en mars 2007 à l’âge de 95 ans, peu après la parution de Pasternak. Prix Goncourt et membre de l’Académie française, il est l’auteur français contemporain le plus lu, dit-on, avec une bibliographie riche d’une centaine de titres.
D’origine russe – sa famille s’exila de Moscou en 1917 –, Troyat ou Lev Tarassov a toujours écrit en français. Il a raconté avec passion nombre de ses compatriotes dont Tolstoï, Tchekhov, Gogol, Dostoïevski et Pouchkine. Écrire la biographie de Boris Pasternak, célèbre auteur du non moins légendaire Le docteur Jivago, allait de soi. Troyat semble par contre préférer l’homme aux capacités littéraires de l’écrivain : « Ne l’admire-t-on pas davantage pour son caractère que pour son talent ? »
Si l’infatigable Troyat tarde à écrire cette trente-deuxième biographie, il y conserve la qualité d’écriture que nous lui connaissons. Pasternak perd cependant en densité car les pages et les chapitres sont bien courts. L’être Pasternak et la genèse de sa saga – dont David Lean a extrait un film-culte en 1966 – n’en sont pas moins captivants. « Il maudit les heures qu’il a passé à écrire [des vers] alors que Le docteur Jivago attendait, derrière la porte, la permission d’entrer dans sa vie. »
Le romancier, poète et traducteur Pasternak (1890-1960) a un destin fascinant. Issu d’un milieu aisé, le jeune Boris hérite de la sensibilité d’artiste de ses parents. « À les regarder vivre l’un et l’autre, il se figure que l’existence des grandes personnes est un jeu perpétuel », commente Troyat. La vie se charge évidemment de lui enseigner bien autre chose.
Le docteur Jivago a été interdit en Russie et publié en Italie, en 1957. En russe. Quelle ironie. Pour de sombres raisons politiques, Pasternak a dû refuser le prix Nobel en 1958. Il s’est aussi vu retirer sa qualité d’écrivain soviétique. « Le Comité du Parti […] continue de dénoncer ses agissements déloyaux contre le peuple soviétique. »
Pasternak meurt sans réconciliation. « Je quitte la vie sans aucun regret. Il y a trop de laideur, non seulement chez nous, mais dans le monde entier. »