L’essai d’Andrée Fortin, Passage de la modernité, qui en est à sa deuxième édition, vise à définir le rôle et l’engagement public des intellectuels québécois à travers l’une de leurs manifestations : la fondation de revues. La fonction des intellectuels est de tout temps une question polémique. D’aucuns déplorent la perte d’audience des savants dans la cité ou critiquent leur absence sur la scène publique.
Pour inscrire historiquement ce débat, Andrée Fortin a opté pour une analyse des intellectuels en actes. En fondant des revues, ces derniers agissent sur la société, indiquent des manquements et proposent des correctifs, autant d’actions qui ont une incidence sur les débats publics, qu’ils nourrissent ainsi. Le nombre de revues étant élevé, l’essayiste a choisi d’étudier le premier éditorial de toutes les revues québécoises puisque ce texte à caractère programmatique présente une lecture de la société, un constat du vide que la direction du périodique se propose de remplir.
Cet essai brillant, clair et précis, fruit de nombreuses années de recherches, que complète ici l’analyse des revues fondées depuis la première édition en 1993, montre la variation de la posture des intellectuels tout en prenant en compte la modification de leurs champs d’intérêts. Le caractère exhaustif de l’analyse, qui ne se fait pas au détriment de rapprochements et de bilans permettant de comprendre les tendances de fond, assure une traversée du bouillonnement culturel québécois, tout en montrant à quel point l’établissement d’un « nous québécois » est central dans l’affirmation des intellectuels. Au terme de ce parcours, il devient saisissant de constater que les intellectuels s’agitent toujours autant, mais qu’ils interviennent autour de questions qui les amènent vers le privé et non plus vers le politique, d’où la méprise à propos de leur silence. Dès lors, le débat devra se faire sur un autre front : comment leur permettre de faire entendre leur parole au-delà du bruit de fond social et d’ainsi continuer à proposer des analyses larges de notre situation culturelle et sociale ? Remettant cette question à l’avant-scène, Andrée Fortin éclaire les perspectives puisqu’elle redonne le goût du débat.