L’idée à la base de cet ouvrage collectif ne manque pas d’à-propos. À une époque où la littérature perd de plus en plus de son aura au profit de séries télévisées ou de jeux vidéo, où la place qu’on lui accorde dans le curriculum est sujette à débat, il importe de rappeler à quel point elle constitue pourtant une source d’enrichissement pour notre compréhension du monde, des autres et de nous-mêmes.
L’initiative est ici d’autant plus originale que ce ne sont pas des littéraires qui se portent à sa défense et en font l’apologie, mais plutôt des scientifiques et des professionnels. L’objectif consistait, nous dit en introduction Normand Baillargeon, à demander « à des personnes qui exercent un métier éloigné de la littérature, mais qui sont connues pour la fréquenter et l’aimer, ce qu’elles en ont appris ». Il en résulte une compilation de témoignages variés, mais dans lesquels on retrouve néanmoins quelques constantes sur les vertus des œuvres littéraires et sur les empreintes qu’elles laissent dans leur sillage. Parmi ces constantes, l’une s’impose tout particulièrement : que ce soit par la fiction, l’imaginaire, le pouvoir des mots, la mise en récit ou encore les émotions qu’elle suscite, la littérature donne accès « à une forme de connaissance qui se révèle complémentaire aux faits scientifiques », ainsi que le remarque la psychiatre Ouanessa Younsi. Elle fournit « des leçons pour appréhender l’univers », estime la journaliste Josée Boileau, « des repères et des clés de compréhension », de dire la psychologue Rachida Azdouz. Aux yeux du philosophe Alain Deneault, elle permet « d’appréhender mille situations auxquelles seul l’imaginaire accède ». Elle offre la possibilité de « vivre dans une autre réalité comme si elle existait vraiment » et ainsi de la « comprendre de l’intérieur », ajoute la comptable Chantal Santerre. Idem pour le musicien Yannick Rieu : « [E]lle esquisse des possibles et, au détour d’une phrase, me révèle des choses sur moi dont j’ignore tout ». « Nous avons besoin d’eux [les littéraires] pour élargir notre compréhension de l’humanité », affirme pour sa part l’historienne Lucia Ferretti.
Pour étayer leur propos, certains auteurs signalent au passage des œuvres qui les ont marqués. Par exemple, selon l’avocate Julie Latour, le roman initiatique L’homme sans qualités de Robert Musil « est peut-être la plus belle chose qu’un individu puisse lire pour grandir et mieux comprendre la complexité du monde, au-delà des idées reçues ». Normand Baillargeon illustre de son côté la valeur épistémique et allégorique de la littérature, et donne à voir et à comprendre certaines questions d’actualité à l’aide d’œuvres du passé – dont le fameux roman 1984, de George Orwell, qui évoquerait « un certain révisionnisme historique actuel » ou encore « la place qu’occupent désormais dans nos vies les GAFAM ».
Bref, voilà un ouvrage qui montre une fois de plus à quel point les œuvres littéraires sont, à leur façon, porteuses de savoirs et de culture. Pour ajouter au propos, qu’on me permette ici de citer le littéraire Vincent Jouve : « [L]’information transmise par la littérature a une force d’impact que ne peut avoir le discours rationnel : elle est ‘ressentie’ avant d’être comprise, voire sans être comprise ». C’est pourquoi la lecture d’une œuvre littéraire stimule bien souvent un besoin de compréhension, de réflexion, de pensée critique, d’attention, d’interprétation, d’identification, de créativité, etc., et permet ainsi à chacun, peu importe son métier ou sa profession, « de mieux répondre à sa vocation d’être humain », comme le disait le critique littéraire Tzvetan Todorov.