Depuis les années 1990, les récits de pèlerins qui souhaitent témoigner de leur expérience à Saint-Jacques de Compostelle ont donné lieu à un véritable phénomène éditorial. Uniquement au Québec, plus d’une trentaine de témoignages ont été publiés en volume de 1997 à nos jours. Il en résulte un certain risque de redites auquel n’échappe pas le récent ouvrage de Rhéal Sabourin. Dans le récit de ce dernier, on retrouve en effet la plupart des lieux communs qui caractérisent ce genre de témoignage. L’auteur y relate les activités et les « tâches routinières » inhérentes à cette expérience de marche intensive, il décrit les paysages et les rencontres qui marquent son quotidien sur le Chemin, le tout accompagné de quelques réflexions et impressions personnelles. On y retrouve également quelques références convenues au guide du clerc poitevin Aimery Picaud et au populaire récit de Paulo Coelho, de même que des allusions aux rituels à accomplir, aux légendes traditionnelles et aux vestiges historiques et religieux qui jalonnent le Chemin. Mais surtout, on y retrouve cet incontournable questionnement sur ce qui pousse inexplicablement les pèlerins, toujours nombreux, à cheminer sur le Camino. « Le Chemin semble exercer un attrait mystérieux qui défie la logique », constate Sabourin. Il faut dire que malgré les motivations très variées des pèlerins, le périple à Saint-Jacques de Compostelle répond chez la plupart d’entre eux à une quête de sens, à un besoin de partage collectif de valeurs et de repères. Dans son ouvrage intitulé L’ère du vide, Gilles Lipovetsky a signalé à quel point l’individualisme triomphant de la modernité a été contrebalancé par « un engouement relationnel particulier », par la quête de solidarité et de fraternité au sein de « microgroupes » et de « réseaux situationnels ». Le récit de Sabourin rend bien compte, dans la pratique, de ce besoin « d’être ensemble ». À ses yeux, marcher vers Compostelle offre avant tout l’« occasion de marcher en communion avec les autres ». « Ce qui m’attire le plus, écrit-il, ce sont les gens, la solidarité des pèlerins, la fraternité » ; « Ce qui se vit surtout ici, c’est un sentiment de fraternité réelle et sincère. Il est si fort qu’il domine dans toutes les rencontres ». Lieu symbolique pour faire mémoire, Compostelle répond à un besoin de filiation qui suppose toutefois de ne retenir que le meilleur de l’héritage culturel occidental. Par un retournement mémoriel bien compréhensible, le Saint-Jacques tueur de Maures et dépositaire d’une certaine violence fondatrice a cédé la place à « un Saint-Jacques pèlerin », « humble », « pacifiste » et porteur d’un nouvel humanisme fraternel. Non seulement « le Chemin tout entier est marqué de ces gestes humbles qui donnent au quotidien le supplément de vie qui le rend plus humain », précise Sabourin, mais plus encore « l’euphorie d’une joie toute fraternelle » qui y est présente « aplanit les nationalismes, le racisme et le sexisme ». Visiblement, on est loin du discours critique, voire iconoclaste, qui considère que cette voie sacrée et millénaire a perdu un peu de sa mysticité en devenant une autoroute à pèlerins. Le tombeau de Saint-Jacques est peut-être vide, n’est peut-être qu’un cénotaphe, comme le laissent entendre certains théologiens, cela n’empêche pas plusieurs pèlerins de faire appel au pouvoir de l’imaginaire, de la légende et de l’histoire pour le remplir et pour rendre leur expérience plus riche de sens.
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