La beauté du texte, voilà ce que nous propose l’éditeur avec le premier roman d’une poétesse, lauréate en 2018 du prix de poésie des Prix littéraires Thérèse-D.-Denoncourt.
Dans ce roman à la première personne, la narratrice Daniela présente des points de ressemblance certains avec l’autrice, ne serait-ce que par la soif d’écrire, l’amour et le plaisir des mots, et leur expérience de l’immigration, par l’intermédiaire de ses parents dans le cas de Francine Minguez.
Daniela, elle, a quitté le Chili à 28 ans avec son amoureux Roberto après le putsch militaire de 1973. Dans leur pays, elle était chanteuse, lui comédien, dit-elle sans plus de détails. Leur fils Francisco est né vraisemblablement à Montréal. Le récit dit sans trop dire. Il a ce côté évanescent des rêves ou des souvenirs lointains qu’évoque effectivement Daniela à l’approche de ses 68 ans. Le roman comprend 33 chapitres titrés, en plus d’un prologue et d’un épilogue, des fragments hantés par les souvenirs, dont les plus récurrents se réfèrent à deux événements cruciaux et presque concomitants : l’agression subie en plein jour dans la rue ; la désertion de Roberto. Corps et cœur gravement estropiés. Douleur physique et mal d’amour.
La narratrice sème quelques allusions à l’agression ici et là dans le récit : hospitalisation, opération, complications postopératoires. Pas de détails encore, ni rapport de police, ni dossier médical. Ce qui l’habite, c’est la douleur persistante au cours des ans et, surtout, la peur, qu’elle qualifie de venin. Quant au départ de Roberto, il survient aussi brusquement que l’agression : dans la voiture, juste au moment de la laisser au métro, posant la main sur son bras il lui annonce qu’il est amoureux d’une autre femme, une fille en fait, « sémillante ». Il l’appellerait quand il pourrait la voir. Et bang ! Digne, Daniela joue les femmes fortes, se tient à distance sans laisser paraître son désarroi quand le dimanche il vient chercher l’enfant Francisco. Mais tout son récit est empreint du manque. La narratrice tente de faire diversion en racontant des anecdotes au sujet de collègues, d’amis ou d’emplois qu’elle a occupés, elle fait même allusion à un Serge qu’elle a aimé jusqu’à sa mort prématurée, « en ayant appris la mesure, l’économie de sentiments », car « quelque chose était mort pour toujours. Il me manquait des morceaux de moi. Et implacablement, à mon insu encore, encore Roberto », avoue-t-elle.
Seule façon d’atténuer la douleur, l’écriture, jeter sur papier « le récit du maelstrom qui me grugeait […] », de redire de mille façons Daniela. Écriture réparatrice. Écrire pour réinventer son existence dans un foisonnement de mots à tonalité poétique. Traduire l’inexprimable, c’est ce à quoi excelle Francine Minguez.