En 1849, Charles Dickens publiait le livre, devenu culte, David Copperfield. Près de deux siècles plus tard, Barbara Kingsolver rend hommage à l’auteur britannique avec une histoire contemporaine de Hillbillies, ces laissés-pour-compte vivant au cœur des Appalaches du Sud, petites gens illettrés, exclus de la société, qu’on aime dénigrer.
L’écrivaine née en 1955 habite à Meadowview, Virginie, à deux pas de la frontière du Tennessee et tout près du Kentucky, dans la région où vivent ces Hillbillies qu’elle défend avec affection et vigueur. Le héros d’On m’appelle Demon Copperhead, quant à lui, se déplace dans le triangle que forme la rencontre de ces trois États. Sa mère était une adolescente junkie, tôt décédée, et son père, un Melungeon – un mot d’origine française – mort peu avant sa naissance. « Ces gens étaient mélangés, toutes les couleurs plus du sang cherokee et aussi portugais, qui avant était un truc à part, c’est-à-dire pas blanc. […] C’était une autre façon de dire Pauvre bâtard de merde. »
Le récit brûlant d’actualité pourrait sembler loin des tragédies inhérentes à l’Angleterre victorienne de Dickens, et pourtant, les deux histoires traitent des mêmes problèmes d’exploitation humaine, d’inégalités sociales, de la mainmise des autorités sur les plus démunis, du manque d’accès à l’éducation et aux soins de santé, bref de l’ensemble des désolantes afflictions sur lesquelles se penche Kingsolver. On dit que le président Obama compterait parmi les admirateurs de l’autrice appalachienne. Sa onzième et plus récente œuvre a reçu la récompense britannique Women’s Prize for Fiction ainsi que le prix Pulitzer 2023, partagé avec Trust d’Hernan Diaz (voir Nuit Blanche, no 174). John Steinbeck, prix Pulitzer 1940, avait abordé les mêmes désespérances dans Les raisins de la colère.
Venu au monde dans une maison mobile – un mobil-home dans la traduction française –, le protagoniste Demon, ou Damon Fields, raconte les péripéties parfois bouleversantes parfois amusantes, jamais banales, de sa triste vie emplie d’injustices. Il décrit ses tribulations d’enfant sale, exploité et affamé, allant de famille d’accueil en famille d’accueil, soumis aux incompétences de travailleuses sociales désenchantées. « Je suis né comme ça, j’en veux toujours plus. Pas de petit coin de pêche pour Demon, il veut l’océan tout entier. » Et l’océan sera sa quête pendant plus de 600 pages. « Go East, Demon, go », sommes-nous tentés de lui souhaiter.
Comme plusieurs membres de sa communauté composée d’anciens bûcherons, de cueilleurs de tabac et de mineurs dans des gisements de charbon, tous maintenant chômeurs, le délinquant Demon deviendra toxicomane, sans miraculeusement sombrer dans la prostitution. L’électorat de Trump, des Blancs qui mettent en lui leur espoir d’un avenir meilleur et qui sont prêts à encore voter pour le républicain, est en effet aux prises avec une importante crise d’opioïdes, dans laquelle s’enfoncent de plus en plus les États-Unis.
Le résilient Demon trouvera quelques bonnes âmes sur son chemin, professeurs ou autres, et s’il endure mille tourments, mille misères, il connaîtra aussi amitiés et amours. Il saura départager