Peu avant sa mort, le « sympathique infirme » Albert Lozeau (1878-1924) avait eu le temps de préparer la version définitive de ses Poésies complètes. En 1925 et 1926, à l’initiative d’Omer Héroux, rédacteur en chef du journal Le Devoir et ami de l’écrivain, un « Comité Albert Lozeau » publia les trois tomes de l’ouvrage souhaité. Michel Lemaire procède aujourd’hui à l’édition critique de cette œuvre injustement méconnue.
Même s’il a souscrit aux valeurs patriotiques et religieuses encore à l’œuvre dans le premier tiers du XXe siècle au Québec, Albert Lozeau ne fut pas un poète sectaire, clanique. Sa participation, à distance, à l’École littéraire de Montréal et à la Société royale du Canada, de même que sa position nuancée dans la querelle opposant les régionalistes aux exotistes, trahissent plus son indépendance intellectuelle qu’une quelconque filiation artistique. Ce que le poète appelait lui-même « le meilleur ou le moins mauvais » de son œuvre traite souvent de sujets peu coutumiers à son époque, comme le confidentiel, la musique et l’amour (avec une note quelque peu érotique parfois). Au plan formel, Albert Lozeau respecte généralement les canons du temps, pratiquant une poésie strophique et rimée. Il donne sans doute souvent dans le cliché, le pléonasme, la cheville et l’accumulation, et on remarque de même une propension assez marquée à l’utilisation de l’adverbe, avec une grâce parfois douteuse. En revanche, certaines images, et plusieurs vers, surprennent par une discrète élégance : « Le soir aux ailes de suie » ; « Tandis que meurt le crépuscule / Noyé de soir à l’horizon » ; « J’ai cru que je n’avais qu’à te fermer mon cœur / Pour me soustraire au doux péril de ta langueur ».
Mieux encore, on découvre avec un grand plaisir le soin apporté à la finale en guillotine de la plupart des poèmes, et non dans les seuls sonnets, une forme que le poète affectionnait tout particulièrement et qui commande, la « chute » que l’on sait. Relisons à cet égard « À Émile Nelligan », « Nocturne », « Dormez », « Mauvaise solitude »… Il en est de même également de plusieurs « poèmes retrouvés », dont on s’étonne que le poète ait fait le sacrifice de son spicilège terminal : « Querelle instrumentale », « Glas d’automne », « Le Châtiment » (aux accents nelliganiens), « Vieil érable », « Musiciana », « Bal exigu », « Vieil antiquaire » (un des rarissimes poèmes à connotation parnassienne de l’auteur)…
La poésie d’Albert Lozeau est sans doute de qualité inférieure à celle de son contemporain Émile Nelligan, mais l’édition critique soignée de Michel Lemaire sera certes, comme le souhaitait ce dernier, « l’occasion d’une redécouverte » poétique « dans toute sa richesse ».