Polar tragique et romanesque, critique sociale corrosive ou encore – comme indiqué en quatrième de couverture – tragédie burlesque, le dernier-né d’Umberto Eco n’est pas un livre facile. S’il est vrai qu’il a été vendu à des milliers d’exemplaires, Numéro zéro requiert une connaissance de la politique italienne des années 1990, ce qui pourrait en rebuter certains. L’érudit romancier a toujours été exigeant avec ses lecteurs et il demeure fidèle à ses habitudes. Le sémiologue n’écrit-il pas, par exemple : « Il suffisait de consulter les archives des hémérothèques pour réunir les tesselles de la mosaïque » ?
L’action se déroule en 1992, à Milan, dans le milieu de la presse écrite, une année cruciale dans le pays dévasté par la corruption. Pour qui s’en souvient, c’est alors qu’a eu lieu la grande enquête judiciaire Mani pulite (Mains propres), qui a dévoilé, entre autres choses, une sale histoire de scandales, de pots-de-vin et de financement illicite des partis politiques. Un moment charnière, désigné comme le passage de l’Italie à la Seconde République. Deux ans plus tard, la montée de la droite, l’arrivée sur la place publique du magnat de la presse Berlusconi et l’émergence des conglomérats industrio-médiatiques bouleverseront une fois de plus le fragile paysage politique.
Revenons à la fiction – fort inspirée – du professeur Eco. Un groupe de journalistes veut mettre sur pied un nouveau quotidien et travaille à son numéro fantôme, un essai avant parution, appelé justement « numéro zéro ». Naissent aussitôt d’inévitables conflits d’intérêts avec l’unique actionnaire de Domani, le Commandeur Vimercate, lequel a de louches visées secrètes et contrôle « une dizaine d’hôtels sur la côte Adriatique, pas mal de maisons de repos pour retraités et invalides », plusieurs télévisions locales et une vingtaine de publications spécialisées. L’éthique n’est guère au rendez-vous. Tiens donc.
Quand un des journalistes est assassiné, un fervent adepte de la théorie du complot persuadé que Mussolini est vivant et protégé par la CIA, l’histoire repart de plus belle. S’entrecroisent alors dans d’habiles rebondissements les secrets des stay-behind, dont le groupe Glaudio, les magouilles du Vatican, l’élimination de Jean-Paul 1er, les Brigades rouges, les attentats fascistes dont celui, terrible, à Bologne, sans oublier la mafia. N’en jetez plus, la cour est déjà pleine.
Umberto Eco dévoile aussi son côté tendre en nous faisant découvrir un Milan secret, avec plaisir semble-t-il. Il insère une amourette un rien fleur bleue entre le narrateur et une des journalistes de Domani. Il revient vite à son propos vitriolique, soit la dérive des médias et les liens ambigus entre presse et pouvoir. Il conclut avec sagesse : « Les perdants, comme les autodidactes, ont toujours des connaissances plus vastes que les gagnants, pour gagner il faut savoir une seule chose et ne pas perdre son temps à les connaître toutes ». Numéro zéro, un fascinant pamphlet.
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