Les onze textes du dernier recueil d’Annie Proulx, regroupés sous le titre Nouvelles histoires du Wyoming, poursuivent l’exploration de l’imaginaire collectif américain, fortement marqué par la conquête de l’Ouest américain, entreprise dans ses œuvres précédentes. Conquête qui, est-il même nécessaire de le rappeler, a conféré à certains épisodes, qu’ils soient aujourd’hui considérés comme étant glorieux ou non, valeur de symbole, voire de mythe. Chacun des textes relate une histoire (vraie ?) de nature à magnifier tantôt les personnages, tantôt les éléments d’une nature parfois hostile avec lesquels ils doivent composer. Des histoires qui se répètent de bouche à oreille, qui se déploient au fur et à mesure qu’elles sont racontées autour d’un feu à l’heure où les coyotes rôdent, ou au comptoir de l’un de ces bars qui savent mieux que nul autre lieu accueillir ces récits auxquels les personnages ne demandent pas mieux que de prêter l’oreille tant ils donnent au quotidien une dimension épique qui trop souvent fait défaut à des vies sédentaires.
La première nouvelle, « Le Trou de l’enfer », met en scène un garde-chasse qui se voit un jour confronté à des braconniers se croyant tout permis parce qu’ils sont avocats et appartiennent à la classe dirigeante, qu’ils ont des contacts en haut lieu. Ce texte présente deux visions du monde diamétralement opposées : d’un côté, le respect de l’ordre établi, des règles ; de l’autre, la prétendue légitimité que procurent le rang social, l’appartenance à un groupe, l’argent. Au-delà des valeurs qui s’opposent dans ce texte, qui comporte une fin loufoque comme bien d’autres nouvelles de ce recueil, c’est l’idée même que le revirement de situation le plus absurde peut arriver dans ce pays à nul autre pareil où se côtoient les plus grands contrastes. Le second texte, « Reconstitution des guerres indiennes », pose la question de la légitimité de la conquête de l’Ouest avec, en toile de fond, la lente prise de conscience d’un descendant sioux qui cherche à se réapproprier l’identité que l’histoire écrite par les vainqueurs lui a ravie.
Le thème de la dépossession, de l’opposition – de forces en présence, de cultures différentes, de destinées – traverse plus d’un texte de ce recueil. Dans « L’homme qui rampait hors de la forêt », un couple choisit de fuir New York pour le Wyoming où il espère renouer avec ce qui, croit-il, représente l’authenticité au moment de la prise de retraite au terme d’une vie professionnelle tout entière consacrée à la poursuite de ce rêve qu’on a si longtemps qualifié d’« américain » . Ce qui devait être le début d’une nouvelle vie se révèle une lente descente aux enfers.
Annie Proulx poursuit une œuvre forte qui creuse et façonne à la fois l’imaginaire d’un pays qui, comme le couple dans « L’homme qui rampait hors de la forêt », se réserve un réveil brutal une fois le rêve évanoui sur cette terre de poussière et de contradictions.