Montréal que tant de ponts relient au reste du monde est une île. On a tendance à l’oublier, tout comme on néglige les beautés que recèlent ses rives, et tout particulièrement au nord, celles que le poète nous fait découvrir. Son dernier ouvrage relate ses promenades à pied le long de la rivière des Prairies alors qu’il déambule sur le boulevard Gouin.
Le poète divise son recueil en six parties. Elles correspondent aux six jours qui lui sont nécessaires pour réaliser son trajet. Un Montréalais que les rêveries portent plus loin en aval sur le Saint-Laurent, qui ne voit de splendeurs que lorsque le fleuve s’évase dans l’estuaire, se montrera d’abord sceptique. Quels charmes, se demandera-t-il, l’auteur a-t-il bien pu trouver à des rives que la ville étouffe ?
Ces charmes seraient inexistants que la poésie de Pourbaix suffirait à en susciter. En effet, l’écriture manifeste ici de remarquables qualités de sobriété et de raffinement. Elle fait montre d’une grande maîtrise ; sa rythmique est soignée ; ses figures, justes et pertinentes, ajoutent à la clarté d’un propos riche et éclairant.
Parcourir le boulevard Gouin offre au poète l’occasion de revenir sur l’histoire de l’île de Montréal, d’explorer sa géographie. Existe-t-il une grande différence entre le touriste et le poète ? Les deux s’arrêtent devant les mêmes monuments, lisent les mêmes plaques commémoratives, admirent d’une égale manière les reflets sur les eaux de la rivière et le mouvement des feuillages dans les grands arbres. Certes, une curiosité semblable les anime. Mais l’attention et les distractions du flâneur entraînent ce dernier sur des sentiers de traverse. Il s’introduit dans les interstices de l’espace et du temps. « Un trou dans la clôture côté ouest exerce une attraction irrésistible, je pénètre un terrain en friche en bordure du rivage, le site presque mythique de Fort-Lorette. »
Si, en lisant Nous sommes oiseaux, nous glanons des informations distillées également dans les livres d’histoire et la documentation offerte au grand public par l’Office du tourisme de Montréal, la lecture du recueil offre de considérables suppléments, l’auteur ayant le don d’insuffler de la vie dans ce que l’on pourrait appeler ses reportages poétiques. Il vibre en contemplant le monde qui l’entoure. Il fait des rencontres marquantes du type que « la lecture des affichettes du circuit patrimonial » ne saurait évoquer. Ce seront celles, par exemple, d’Orphée et de Hécate, personnages énigmatiques et hautement colorés qui ajoutent à la poésie de ses récits. Il croise la misère, celle d’un itinérant à qui il ne peut offrir qu’un sourire.
Un des traits principaux de ce recueil réside dans sa profonde humanité. Je détourne ici les mots du poète pour les appliquer à son propre ouvrage, lequel est animé par l’« intelligence du cœur ». Pourbaix est un homme attentif aux autres, à ses contemporains, également aux disparus. Chez lui, « l’absence enfante la présence ». Il « rêve Gouin avant Gouin, le chemin plutôt que le boulevard, l’odeur des trottoirs de bois ». Il évoque le pont des Saints-Anges, « démoli en 1874, ouvrage désormais imaginaire ». Il chérit les terrains vagues, « il avance dans l’impermanence / vers les rives d’un clair visage ». Tout au long du parcours, son œil n’oblitère pas pour autant les laideurs qui défigurent le paysage urbain. Mais il se plaît à redessiner des espaces disparus, à découvrir leurs traces et leurs vestiges, à reconstituer le visage ancien qu’offrait naguère la souriante campagne du chemin Gouin.
Il y a des livres que l’on souhaiterait avoir écrits. Celui-ci est l’un d’eux. Mais peu d’auteurs seraient en mesure d’en produire de semblables. Nous sommes oiseaux fait bande à part. Il s’agit d’une perle rare.
Mais, me direz-vous, les oiseaux dans tout ça ? En lisant le recueil, vous découvrirez vous-mêmes leurs battements d’ailes. Tendez bien l’oreille, vous entendrez leur délicieux ramage.