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Mode lecture zen

NUIT BLANCHE

L’auteure est poète, romancière, essayiste, traductrice et professeure de littérature. Avec Nous le lac, Emmanuelle Tremblay signe son deuxième recueil au Noroît, une autobiographie poétique qui se présente telle une succession de vagues et de remous intérieurs allant de la périnatalité à l’âge adulte.

Du fœtus devinant le monde extérieur jusqu’à la femme mature mesurant le chemin parcouru, en passant par l’enfant déchiffrant le curieux foisonnement de son univers et l’adolescente découvrant son corps, l’auteure retrace un itinéraire jalonné d’oscillations, de désirs, d’injustices, de déceptions et de victoires. Aussi revient-elle sur sa vie passée par le truchement d’un rétroviseur qui s’apparente à la surface d’un lac, un miroir sur lequel les subtils mouvements de l’eau embrouillent le reflet projeté en plus de laisser pressentir une intrigante, voire une profonde part d’invisible et de non-dit : « dans chaque larme il y a un lac pour s’écrier / l’onde infinie d’un souffle / que tu racles jusqu’au fond de l’image ». De cette écriture dense, qui puise à même l’essence des mots, émane une volonté de gratter, de désencrasser, de laver, de polir de vieux souvenirs, peut-être dans le but d’en retrouver l’éclat d’origine, d’en évoquer une réminiscence qui, souvent, prend l’aspect d’une métaphore au lustre étonnant.

Tout au long du recueil persistent des représentations liées à l’idée de la corde, à la présence de nœuds et à l’opposition entre l’eau douce et l’eau salée. Il y a cette impression d’une mémoire emmêlée, parfois même nouée, qui est ressentie : « le réel m’enlise dans sa double épaisseur / plus je croise les fils de l’inconciliable ». L’illustration de Julie Ouellet, sur la couverture, transpose d’ailleurs avec justesse cette dimension. Aussi, chacune des sept parties du livre se penche sur une période précise de la vie d’Emmanuelle Tremblay et offre une signature formelle particulière. Les suites de textes se présentent soit en succincts paragraphes – ponctués ou non –, soit en superpositions de trois distiques, soit configurées en vers décalés. Remarquons que cette mise en page variable s’harmonise judicieusement avec la modulation des points de vue et avec le regard défocalisé que la poète pose par moments sur sa propre évolution.

En somme, il s’agit d’une œuvre exigeante à la tonalité paradoxalement sombre et fulgurante, une œuvre dans laquelle le nous et le je s’intriquent dans une savante architecture de flashbacks, une œuvre complexe comme un lac alimenté par de multiples cours d’eau : rivières, ruisseaux, rigoles et affluents souterrains.

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