La contribution de l’Argentine à la littérature fantastique est de tout premier ordre : Borges, Cortázar, Ocampo, Bioy Casares… Avec cette singulière histoire d’Obscurité avaleuse et de cultes de l’ombre, Mariana Enríquez ajoute son nom à la crème de la crème.
Couronné de plusieurs récompenses, dont le Prix des libraires du Québec et le Grand Prix de l’Imaginaire, ce quatrième roman de l’écrivaine et journaliste née à Buenos Aires en 1973 est son premier à paraître en français. En plus de 800 pages de prose serrée, on suit le combat d’un père et d’un fils pour échapper au destin qui leur a été assigné par une puissante famille cherchant à percer les mystères de la vie éternelle. Le père, Juan Peterson, est un beau colosse blond, qui peine à se remettre d’une blessure subie lors d’un cérémonial. Au sein de l’Ordre – la secte à laquelle appartient sa belle-famille –, on lui a reconnu un don de médium. C’est lui qu’on charge de communiquer avec le monde des ténèbres et des démons, appelé « l’Obscurité ». Chaque incursion dans cette réalité invisible est périlleuse car l’Obscurité a le pouvoir d’avaler les vivants, parfois en entier, d’autres fois en leur retranchant des membres. Lorsqu’il entre en transe, Juan se transforme en bête monstrueuse, ce qui lui vaut le surnom de « dieu aux ongles d’or ». Mais Juan n’a qu’une pensée en tête : tenir son fils Gaspar éloigné de cet héritage maléfique. Au début du roman, Gaspar n’est qu’un petit garçon. Père et fils traversent l’Argentine après que Rosario, la mère de Gaspar, eut été renversée par un autobus. Si l’intrigue privilégie d’abord le point de vue de Juan, celui-ci est peu à peu remplacé par celui de Gaspar tandis qu’il grandit et découvre ce que son père tentait désespérément de lui cacher. Gaspar est appelé à jouer un rôle encore plus déterminant au sein de l’Ordre : celui d’un réceptacle.
Le format, proche du roman-fleuve, permet à Mariana Enríquez de patiemment exposer le fruit de son imagination foisonnante et d’offrir, outre une captivante saga fantastique, un poignant récit de formation où l’amitié et l’amour occupent une place importante, ainsi qu’un saisissant portrait de l’Argentine au temps de la dictature militaire.