« Tu es à la morgue. » Cet incipit donne le ton du dernier roman de Robert Coover, un polar qui, tout en étant une synthèse du genre, est tout à fait atypique. D’une part, le livre récupère les clichés des romans policiers et des films noirs des années quarante et cinquante. Comme les œuvres dont il s’inspire, il offre une vision assez sombre de l’Amérique. D’autre part, la manière de traiter tous ces éléments amène le lecteur sur un terrain différent de ceux qu’explorent un Raymond Chandler ou un Fred Vargas. Le style, qui inclut la narration à la deuxième personne (comme chez Michel Butor), n’est pas sans rappeler les écrivains du Nouveau Roman dont l’auteur de Noir s’est déjà réclamé.
On remarque très rapidement, d’ailleurs, que rien ne progresse de façon conventionnelle dans le récit. Le héros, un détective que Coover a baptisé Noir, est engagé par une mystérieuse veuve en quête de protection, qui veut faire la lumière sur la mort de son mari. L’histoire débute avec la recherche du cadavre de cette femme qui est à la fois objet de méfiance et de désir. Le personnage principal déambule dans des rues à l’asphalte éternellement mouillé, il se perd dans une ville qui, à sa manière, incarne la volonté supérieure à laquelle se heurtent les héros de Kafka.
Ceux qui aiment les intrigues fonctionnant avec les ressorts traditionnels du polar seront déçus par le livre. Bien qu’ils s’y retrouveront avec cette traduction française (avec ces flics et ces détectives qui parlent comme les créatures des bas-fonds parisiens), ils auront droit à autre chose qu’au suspense habituel. Cela est loin de signifier, toutefois, que le roman n’est pas intéressant.