Le musicien innu, que nous avons d’abord connu comme l’un des membres du célèbre groupe Kashtin, est un personnage éminemment sympathique. Le récit de sa vie est empreint de l’oralité de sa culture.
Justin Kingsley précise d’entrée de jeu avoir recueilli les propos de Forent Vollant en marchant, alors que tous deux parcouraient les sentiers du parc du Mont-Royal. Le texte établi par Kingsley conserve en bonne partie les attributs du langage parlé et le ton de la confidence.
Florent Vollant remonte dans sa mémoire jusqu’à ses premiers souvenirs, au temps où sa famille était encore nomade, ce qu’il appelle « la belle époque ». Cela se passait au Labrador dans les années 1960, en un lieu appelé Indian Point, où vivait une petite communauté de la nation autochtone que l’on nommait alors « les Montagnais ». Avec les yeux de l’enfance, Vollant se remémore une vie près de la nature, faite de pêche, de chasse, de makusham et de battements de tambour. Il nous parle du bonheur d’être ensemble et des personnes de sa famille qui l’ont marqué. « Un chowder de brochet, des chnolles d’orignal, des fèves au lard au lièvre, des galettes au petit lard de loup-marin, du saucisson d’ours, de la perdrix cuite sur un feu de camp… L’abondance, vous comprenez ? Rien de compliqué. Le délice d’une vie simple en équilibre avec son environnement. La vraie richesse, je vous dis. »
Florent a cinq ans lorsque, en 1964, on l’emmène, lui et ses six frères et sœurs, au pensionnat pour enfants autochtones de Maliotenam. En l’absence de leurs parents, les petits Innus ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Comme les autres, Florent se doit d’avoir une soudaine « poussée de maturité ». Il apprend vite à éviter les coups et les punitions en devenant un élève modèle. À l’adolescence, il fréquente l’école secondaire à Sept-Îles et ses résultats sont excellents, mais il se révolte contre ses parents. Il ne comprend pas encore qu’ils sont victimes comme lui d’un grand projet d’assimilation. À la réserve de Maliotenam, où vivent désormais les nomades sédentarisés, il s’accroche à la liberté illusoire de la drogue et de la délinquance. Puis, un jour de manifestation à Ottawa avec ceux de son peuple, il éprouve un sentiment nouveau : la fierté de faire partie des Premières Nations. Ce sera un moment charnière, le déclencheur d’un processus de reconnexion avec ses racines. Peu de temps après, à dix-sept ans, il abandonne ses études pour un autre chemin. Auprès de son grand-père et d’autres membres de sa communauté, il entreprend de rattraper les enseignements dont l’avaient privé ses années de pensionnat. « En redécouvrant sa culture et son identité innues, le rebelle que j’étais s’est métamorphosé. Passer mes journées avec l’institution qu’était grand-père m’a calmé. J’ai échangé mes sorties avec la gang de délinquants contre des soirées musicales dans la grange ou collé sur le tourne-disque, à écouter ceux qui m’inspiraient. »
La musique sera la voie par laquelle Florent Vollant se révélera à lui-même et deviendra à sa manière un facilitateur du dialogue entre les Autochtones et le reste de la société, au Québec et ailleurs. Dès l’enfance, on remarque autour de lui que Florent « chante bien ». Au pensionnat, nuance par rapport aux brimades généralement subies, il laisse émerger sa créativité en découvrant l’harmonica et le xylophone. Plus tard, à Maliotenam, Philippe McKenzie, un peu plus âgé que lui et précurseur de la musique innue, l’encourage et lui transmet ses connaissances musicales. À la fin des années 1980, le duo Kashtin, qu’il forme avec Claude McKenzie, obtient un succès international. Pendant une dizaine d’années, Florent et Claude vivent à toute allure, de spectacle en spectacle, jusqu’au moment où Florent sent le besoin de ralentir. Après quelques années de vie montréalaise, il retourne à Maliotenam avec sa chère Anita et les enfants. En 1997, il fonde un studio d’enregistrement à Maliotenam. Tout en continuant sa carrière solo, il affirme que Kashtin ne mourra jamais. Son parcours est parsemé d’honneurs, dont un prix du Gouverneur général du Canada, de même que les titres de Chevalier de l’Ordre national du Québec et de Compagnon des arts et des lettres du Québec. En 2021, à 61 ans, il subit un accident vasculaire cérébral. S’il a maintenant ralenti son pas, Florent Vollant marche toujours contre le vent.