Par-delà les raffinements que décoderont les compétents en la matière, la plèbe dont je suis retiendra de ce récit l’enjeu éthique : amplifier artificiellement les capacités humaines est-il acceptable ? Nécessaire ? Condamnable ? Chose certaine, même si les sanglantes scènes d’acrobatie à la Bruce Lee dont le livre est truffé ne constituent pas le rêve de l’auteur, ce n’est certes pas un avenir de sereine diplomatie que promet le virage que souhaite Nexus. Si cette mutation provoque un progrès, ce sera au prix d’importants dommages collatéraux. Même si la cinquième génération de la nano-drogue appelée Nexus se borne théoriquement à mettre les cerveaux en interaction, elle symbolise le contrôle que certains intérêts entendent exercer désormais sur leurs semblables.
La question est complexe et pertinente. D’une part, ce n’est pas parce que certaines prothèses sont déjà courantes que l’être humain a renoncé à vivre plus longtemps, à tabler sur des réflexes plus aiguisés, à jouir d’une force décuplée. D’autre part, toute armée veut des soldats toujours plus résistants et meilleurs tueurs. La préoccupation éthique à l’égard du remodelage de l’être humain est ainsi confrontée à deux requêtes distinctes : ou combler les attentes légitimes de tout humain ou mettre des muscles additionnels à la disposition des généraux. Comme les milieux militaires n’ont ni l’habitude ni le culte de la transparence, on doit craindre que l’hypothèse sympathique d’un mieux-être du corps et du cerveau humains soit la seule à parvenir au public. Autrement dit, pendant que les militaires continueront à dissimuler leurs expériences, seul le côté rose des découvertes attirera l’attention et fera pencher la balance.
Nexus a beau simuler la neutralité, son penchant ne fait guère de doute. Plusieurs des arguments offerts en soutien à sa thèse sont, en effet, typiques d’une mauvaise cause. « Ceci, écrit Ramez Naam, est un détachement du Poing de Confucius, un bataillon des forces spéciales. Ces hommes sont des clones, ce qui constitue une violation des accords de Copenhague. Nous avons également appris que les membres de ce bataillon, le meilleur de toutes les forces armées chinoises, ont été conçus pour éprouver une indéfectible loyauté. » D’où, bien sûr, l’urgence de créer des soldats encore plus menaçants que les clones chinois ! Dans le même esprit, l’auteur répand l’idée que, exemple rêvé, la méditation bouddhiste aussi met l’individu en contact avec ses semblables : « C’est là que les neurosciences peuvent s’inspirer du bouddhisme ». Doutons que Çakia-mouni soit d’accord.
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