S’il évoque plusieurs commissions publiques tenues sur le territoire de la ville de Montréal, l’essai de Mathieu Lapointe porte surtout sur l’enquête du juge François Caron, de 1950 à 1953, et sur la campagne de moralité publique qui en est à l’origine.
Dans ses deux premiers chapitres, Nettoyer Montréal décrit la situation qui prévalait dans la métropole avant la période étudiée puis expose les bouleversements politiques, sociaux et culturels, réels ou appréhendés, engendrés par la Deuxième Guerre mondiale. Les chapitres trois et quatre examinent quant à eux d’une part le chassé-croisé des agitations et des mobilisations qui a mené à l’établissement d’une commission royale, l’enquête Cannon de 1944 sur les agissements de la police provinciale, et d’autre part les deux démarches infructueuses de la Ligue de vigilance sociale pour obtenir une enquête judiciaire sur la police de Montréal : ces deux tentatives ont été rejetées sous prétexte que les accusations déposées n’étaient pas assez précises. Entre alors en scène Me Pacifique (dit « Pax ») Plante, nommé directeur de l’escouade de la moralité de Montréal après avoir été suspendu de la police par le chef Albert Langlois pour insubordination. L’avocat monte un dossier d’accusations qui aboutit en 1950 à l’enquête du juge Caron sur l’immoralité publique et la corruption de la police montréalaise. Les journalistes Gérard Filion et André Laurendeau soutiennent alors à fond Pacifique Plante en publiant dans Le Devoir sa soixantaine d’articles sur la tolérance policière et la protection politique du vice commercialisé (prostitution, jeux et paris illégaux surtout) dans la métropole. Ces articles ont été publiés en brochure sous le titre de Montréal sous le règne de la pègre (1950).
Mathieu Lapointe retrace au chapitre cinq la formation du Comité de moralité publique (« CMP »), fondé d’abord pour soutenir l’enquête Caron, et commente l’action énergique des J.-Z.-Léon Patenaude (secrétaire-trésorier), Pierre Des Marais (président), Jean Drapeau (jeune assistant-procureur de Pax Plante)… D’autres noms importants de l’époque apparaissent ou réapparaissent sous la plume de l’essayiste : les évêques Joseph Charbonneau et Paul-Émile Léger (le futur cardinal), l’avocat français Jean-Joseph Penverne, l’économiste et intellectuel nationaliste François-Albert Angers, le président du conseil exécutif de Montréal Joseph-Omer Asselin, le ministre libéral T.-D. Bouchard, les chefs politiques Maurice Duplessis et Adélard Godbout, les maires Camillien Houde et Adhémar Raynault… On mentionne aussi des groupes (l’Ordre de Jacques-Cartier, alias « La Patente », la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, la Ligue d’action civique, les Ligues du Sacré-Cœur…) et des périodiques (l’importante revue Relations, Le Petit Journal, le bulletin L’Action civique créé par le CMP, Le Clairon de Saint-Hyacinthe…). On parle du mouvement international de réforme morale, de l’effeuilleuse américaine Lili St-Cyr et, à plusieurs reprises, de la fermeture du Red Light en 1944… Résumés au chapitre six, les motifs et arguments du CMP et de leurs adversaires fusionnent malgré leur grande différence. La moralité publique et la moralité politique se renforcent.
Un dernier chapitre fait le bilan de l’enquête Caron dans son rapport de 231 pages : ses coûts (500 000 $), les accusations portées (au nombre de 63), les témoins entendus (373 au cours de 325 séances), ses blâmes contre le service de police et des membres du comité exécutif de la Ville, sa portée politique, ses embûches financières et ses obstructions judiciaires, le manque de vigilance des citoyens et des membres du conseil municipal, l’emprise de la pègre, la naissance de la Ligue d’action civique, qui allait devenir le parti politique de Jean Drapeau lors de son élection triomphale du 25 octobre 1954 à la mairie de Montréal.
Nettoyer Montréal est une étude fortement documentée qui utilise essentiellement une foule d’archives et d’imprimés dont la vaste bibliographie terminale fait état. Une pertinente iconographie, multiple et variée, accompagne le tout. Le Prix du livre politique de l’Assemblée nationale, qui récompense la qualité et l’originalité d’un ouvrage portant sur la politique québécoise, a été récemment attribué à l’auteur : voilà une distinction pleinement méritée.
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