« La neige tombait, telle qu’elle tombe en rêve, lancinante, silencieuse ; le voyageur assis côté fenêtre se purifiait avec les sentiments d’innocence et de naïveté auxquels il aspirait avec passion depuis des années et se mettait à croire, optimiste, qu’il se sentirait dans ce monde comme chez lui. » Voilà l’état d’esprit dans lequel Ka, exilé politique, poète et vaguement journaliste, entreprend son voyage à Kars, petite ville d’Anatolie ensevelie sous la neige. Sous le prétexte de couvrir pour un quotidien d’Istanbul les prochaines élections municipales et d’écrire un article sur les récents suicides de femmes survenus à Kars, Ka désire avant tout revoir une jeune femme qu’il a connue à Istanbul pendant ses années d’études.
Dans Neige, Orhan Pamuk brosse un tableau politique de la vie actuelle en Turquie où cohabitent nationalistes laïques et islamistes radicaux. À Kars, où les routes sont fermées depuis quelques jours en raison d’une tempête de neige, Ka a peine à choisir son camp ; courtisé à la fois par les laïques et par les religieux, Ka a pourtant bien d’autres préoccupations : séduire la belle Ipek et profiter d’une soudaine inspiration pour écrire un recueil de poèmes. Constamment sollicité, appelé à prendre position, Ka se trouve mêlé à une affaire qu’il paiera de sa vie quelques années plus tard.
Insurrection, manipulation, intimidation roman à suspense ? C’est ce que nous promet la quatrième de couverture. Pourtant, le style de Pamuk, hautement descriptif et souvent surchargé, ne s’y prête pas. Neige m’apparaît bien davantage comme un long et touchant témoignage d’un observateur engagé. Orhan Pamuk, partisan de l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne, ne manque pas de placer son héros porteur des valeurs européennes aux côtés d’intégristes puritains qui ont pour seul projet l’application de la charia.