L’entrée d’un auteur dans la prestigieuse collection sur papier bible et à reliure de cuir « Bibliothèque de la Pléiade » est toujours un signe de reconnaissance (bien que les lois du marché de l’édition y limitent la publication des écrivains contemporains à ceux dont les droits sont détenus par Gallimard), et bien peu se voient accorder cet hommage de leur vivant. La longévité de Nathalie Sarraute lui aura permis de goûter cet honneur ambigu qui consiste à voir qualifier son œuvre de complète, ce qui, pour les cyniques, pourrait donner à entendre une invitation au silence… qu’elle ignorera d’ailleurs superbement.
Toute équivoque mise à part, l’édition en question est une valeur sûre pour les amateurs de Nathalie Sarraute. À l’ensemble des romans, des pièces de théâtre et des essais littéraires publiés alors, s’ajoutent les principales conférences que l’auteure a prononcées (dont son intervention au Colloque de Cerisy sur le nouveau roman en 1971, où elle distingue subtilement, mais de façon essentielle, son entreprise de celle de ses collègues) et quelques entretiens où elle explique sa conception du roman. Comme le souligne Jean-Yves Tadié dans l’introduction, les prises de position esthétiques de Nathalie Sarraute apparaissent aujourd’hui comme des moments importants de l’histoire du roman. Ces textes permettent de mieux saisir non seulement ce que l’esthétique de Nathalie Sarraute avait de novateur, mais encore dans quelle continuité historique elle se situait.
Sans doute la clarté de ces essais a-t-elle contribué à ce que l’appareil critique qui accompagne l’œuvre ne prenne pas plus de place que les textes eux-mêmes, ce que pour ma part j’apprécie énormément. L’introduction, très justement intitulée « Musicienne de nos silences », se contente de mettre en évidence le fil conducteur de l’œuvre sarrautienne, sans souligner au crayon gras ce que le lecteur pourra apprendre (ou redécouvrir) de la plume de Nathalie Sarraute elle-même. Cette discrétion du responsable de l’édition est sans doute le plus bel hommage qu’on puisse faire à une auteure qui voulait faire travailler son lecteur. La chronologie, détaillée à souhait, a été établie par Arnaud Rykner, à qui l’on doit un essai sur Sarraute dans la collection « Les contemporains » au Seuil. Petit détail anecdotique : selon Arnaud Rykner, Nathalie Sarraute serait née en 1900 alors que les autres chronologies la rajeunissent de deux ans. Cela explique peut-être pourquoi l’édition de « la Pléiade » cautionne son travail en précisant que les renseignements ont été fournis par l’auteure. Enfin, les notes et variantes ne pèsent pas trop lourd dans le poids total du volume, et sont accompagnées de documents (prières d’insérer signés de l’auteure, extraits de la critique journalistique, etc.) qui permettent de mieux situer chacune des œuvres de Nathalie Sarraute dans son contexte.
Bref, l’édition de la « Bibliothèque de la Pléiade » fournira aux étudiants et universitaires l’appareil critique essentiel, mais elle présente surtout pour l’amateur l’avantage de réunir en un seul volume l’équivalent d’au moins une vingtaine de titres. Chère alors, « la Pléiade » ?
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