L’émergence des nouvelles formes de terrorisme dans le monde de même que la crise générale de la gouvernementalité dans tous les pays font de ces deux cours au Collège de France (celui sur la sécurité ayant occupé Michel Foucault durant l’année universitaire 1977-1978 et celui consacré à la biopolitique, durant l’année 1978-1979) des documents d’une troublante actualité si l’on se place dans la perspective – soutenue tout autant par Pierre Bourdieu que par Octave Mannoni – d’une analyse des effets dans la vie concrète de la manipulation du plus-de-jouir, laquelle s’articule au mensonge de l’histoire officielle et à l’institutionalisation de la désinformation. Dans ce débat, Sándor Ferenczi et Wilhelm Reich ne seraient d’ailleurs pas si loin au fond de Joseph Stiglitz.
Ces deux cours de Foucault forment un diptyque dont le fil conducteur est la question du bio-pouvoir ouverte dans Il faut défendre la société (1975-1976). Pour l’historien-philosophe, la naissance du pouvoir sur la vie au XVIIIe siècle constitue un des événements les plus importants de l’histoire de l’humanité. De l’intérieur pour ainsi dire de l’étude des mécanismes d’entrée dans les technologies de sécurité, naît le vaste projet d’une histoire de la gouvernementalité depuis les débuts de l’ère chrétienne. Parallèlement, l’analyse de la généalogie et des conditions de fonctionnement de la biopolitique se trouve élargie à celle de la gouvernementalité libérale. Le déplacement doit être vu pour ce qu’il est chez Foucault : le point d’ancrage d’un nouage entre l’analytique du pouvoir et une éthique du sujet.
Ce mouvement, qui le conduira bientôt à se pencher en 1979 et 1980 (Le gouvernement des vivants, à paraître), éclaire le lien entre le bio-pouvoir et l’étude de la sexualité. Entre le premier volume de son histoire sur la sexualité (La volonté de savoir, 1976) et les deuxième et troisième (L’usage des plaisirs et Le souci de soi, 1984), un enjeu plus dense émerge, à savoir que celle-ci représente davantage qu’un point de capiton entre la discipline et la régulation. C’est que la sexualité ne saurait être coupée d’une éthique des techniques de soi.
Bien sûr, ce tournant n’est pas isolable d’une gauche questionnant le marxisme pur et dur et revenant à des questions de nature culturelle comme celles de la situation des femmes, de l’éducation, de l’autogestion, de l’euthanasie, etc. Et pour Foucault, la théorie est ici inséparable de l’engagement personnel, comme en témoigne sa participation à la marche pour la reconnaissance du droit d’asile à Klaus Croissant, l’avocat de la célèbre bande à Baader, et son appui à la « révolution » iranienne (lorsque Khomeyni revient en Iran après le départ du chah en janvier 1979). On constate donc à quel point le triangle sécurité-territoire-population, remplacé par sécurité-population-gouvernement, s’élabore dans le tissu même de l’histoire événementielle. L’opposition catégorique de Foucault au terrorisme ne prend pas appui dans la moralité, mais dans une pensée qui le conduit – dans Naissance de la biopolitique – à éclairer le paradoxe qui existe entre la société et l’État, celui-ci devant s’autolimiter devant le principe que constitue la première. Bref, la question fondamentale qui occupe alors Michel Foucault est celle de comprendre ce dont il retourne avec la crise de gouvernementalité du monde actuel et à quelles modalités de gouvernance elle donne lieu. Qui dira que ce débat est dépassé ?