Les occasions de sourire ne feront certes pas défaut à l’auteur, tant s’ouvrent nombreuses et béantes les tentations d’interpréter, de superposer quatre ou cinq niveaux explicatifs, de solliciter Freud, Jung ou Frankenstein, bref de tirer Music-hall ! dans toutes les directions. Prudemment, je m’en tiendrai à quelques certitudes.
L’écriture de Gaétan Soucy, toujours fascinante, s’est encore assouplie. Elle court au plus efficace, tronque les phrases avant qu’elles s’abandonnent aux clichés, tient pour assuré et sous-entend ce qui, une fois, a sollicité l’attention. Et les syncopes sont superbes. « Beau questionner pelés et tondus, beau quémander, rabroué sec sans exception, et après une attente en station debout au milieu de ces démolisseurs inconnus qui le traitaient comme s’il était du vide, Xavier s’en retournait, apprenti en chômage comme devant. » Plus encore qu’avant, l’auteur invente le vocabulaire requis. Tel ne comprend « pou », tel est fatigué de fouiller dans les « appétissantes », tel ingurgite du « frelaton » et s’en brûle l’estomac, tel gaspille son temps en « chosicules ». Savoir jusqu’où aller trop loin exige audace et goût.
Minutieusement déroutant et scrupuleusement honnête, Gaétan Soucy exige du lecteur une attention de tous les instants. Ses énigmes comportent des clés, mais qu’il ne laisse pas traîner. Avis aux regards qui survolent. Qu’on ne blâme pas l’auteur si l’on a raté au passage les allusions à une pudeur bizarre, si l’on a vu plus de Hongrie que nécessaire, si le « mandarin rafistolé » du music-hall nous a paru secouer Xavier comme tout autre non-initié. Le romancier raconte à la loyale et nous fait l’amitié de nous croire alertes.
Comme dans chacun de ses ouvrages, il rend incertaines et presque poreuses les identités, loge ici ou là un couple de jumeaux, ancre dans le passé et semble y abandonner les révélations qui éclaireront l’issue, fait peser des rituels primitifs et les éléments fondamentaux, le feu en particulier, sur les destins individuels. Mais cet univers presque familier se renouvelle sans cesse. Sans jamais s’empêtrer dans la rectitude sociale, Gaétan Soucy accorde le pouvoir à l’Ordre des démolisseurs, puis dénomme « démolis » ceux dont les foyers sont détruits. Comment dire autant en moins de mots ?