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NUIT BLANCHE

Recul ou proximité ? Distance ou empathie ? N’importe quel biographe doit faire face à ces questions, surtout s’il traite avec un vivant. L’équilibre devient encore plus difficile à établir si, comme c’est le cas ici, le personnage dont on entend tracer le profil est un maître de la mise en scène et du conditionnement. Face à Brian Mulroney, Peter C. Newman devait donc faire appel à toutes ses réserves de professionnalisme et de saine incrédulité pour rendre justice à l’homme sans pour autant se laisser circonvenir.

Biographe et interviewé ont multiplié les engagements pour garantir un bon résultat : liberté critique du rédacteur, transparence et disponibilité de l’homme politique. Mulroney promettait de remettre à Newman les documents demandés et d’affronter toutes les questions ; le biographe s’engageait à ne rien publier avant que prenne fin la carrière politique du « petit gars de Baie-Comeau ». Preuve que l’un et l’autre avaient conscience des risques encourus, cette entente fut dûment parafée. Elle dormit pendant dix ans. Malgré cela, l’ancien premier ministre a adressé de virulents reproches à Newman lorsqu’il a pris connaissance du texte. À quel feu d’artifice aurait-on eu droit sans ce contrat ? Ne sautons quand même pas aux conclusions : il existe, en effet, bien des méthodes pour gonfler le tirage d’un portrait et Mulroney en connaît plusieurs…

Le résultat laisse le lecteur sur son appétit. Newman exhume bien des souvenirs, mais c’est aux proches et même aux très proches qu’il tend le plus souvent son micro. Le biographe a trop de métier pour verser bêtement dans la « biographie autorisée », mais ce n’est quand même pas de Mila Mulroney qu’on peut attendre une évaluation neutre de son époux ! Quelques adversaires politiques sont admis à témoigner, mais leurs propos, assez aseptisés pour la plupart, pèsent peu en regard des mille commentaires émanant du camp conservateur. Une exception de taille, cependant : Stanley Hartt, sans déloyauté, mais avec une impressionnante rigueur, jette sur son ex-patron un regard nuancé et fiable.

Mulroney émerge de l’aventure avec l’image d’un frimeur vaniteux, rancunier, grossier. Quand, par exemple, il exprime son mépris pour l’ensemble des journalistes de la tribune parlementaire, son ton est si acerbe qu’on lui donne tort avant même d’examiner ses griefs. Il n’est certes pas le premier homme public à user d’un vocabulaire spontanément ordurier, mais les jugements qu’il formule sur ses adversaires, sur la ville d’Ottawa et même sur les membres de sa propre équipe méritent une place de choix au panthéon des condamnations mesquines et gluantes. Ce n’est pas seulement le vocabulaire qui répugne, mais la cruauté qui le nourrit. C’est sans doute ce que retiendra le grand public, même si Newman a raison de nuancer le jugement excessif que l’opinion publique entretient depuis dix ans au sujet de l’ancien premier ministre. Car Mulroney a marqué son temps autant que Trudeau. On peut ne pas aimer le libre-échange, mais on ne peut en nier l’importance. Et si l’accord de Meech n’a pas été avalisé, ce n’est pas à Mulroney qu’on peut le reprocher, mais à Trudeau.

Newman, en se contentant du rôle de courroie de transmission, laisse à peine entamée la tâche de rendre compte du règne de Mulroney. C’est vivant, anecdotique, souvent truculent, mais peu concluant.

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