Il serait profondément injuste de crier à l’artifice quand se trouvent rassemblés dans un même recueil des textes en provenance du Québec, du Maroc, de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de l’Algérie. Injuste parce que le français, bien que parfois mis en parallèle avec une autre langue, confère à ces textes une tenace unité, mais plus injuste encore parce que, malgré la diversité des situations, une constante et fervente soif d’autonomie traverse le recueil. Poètes, romanciers, nouvellistes, revendicateurs racontent leurs cheminements personnels, certes, mais toutes et tous réclament pour leurs cultures la place au soleil qui, sous tant de latitudes, leur est si cruellement refusée. Parfois, le ton monte et le cri devient presque rage et ultimatum. Plus souvent, le poème reflète la douleur de l’humain entravé dans sa pensée, amputé de ses racines, dépouillé de la seule langue qui puisse exprimer ce qu’il est, la sienne. Marocain, Ali Khadaoui parle avec chaleur « des enfants que seul le vent caresse ». Kabyle, Salem Zenia s’en tient au berbère : « Vous me chantez Dieu / en lui vous n’avez jamais cru / En me chantant Dieu / et l’islam / votre chanson n’est que ruse ». Quant à Georges Sioui, il tient à affirmer que, même si sa peau, sa chevelure, son œil ne sont pas typiques de son peuple, son âme l’est : « Je suis Indien avec mon cœur / Avec ma plume et ma musique / Pour affirmer et pour chanter / La seule chose que je sais : / L’universelle parenté. / Je suis Indien de tout mon cœur ».
Imprévues, des parentés se découvrent qui abolissent les siècles et les distances. En racontant l’accueil de l’étranger, Michel Noël retrouve le rite dont Homère a fait bénéficier Ulysse à chacune de ses escales : « Prends le temps de bien te reposer. Quand tu seras prêt, tu nous diras qui tu es, d’où tu viens et ce qui t’amène parmi nous ». Algérien d’expression tamazight, Hha Oudadess exprime sa surprise : « […] les Japonais sont reconnus comme les maîtres du haïku, alors que les izlans amazigh, impérissables, traversent les âges en demeurant anonymes ».
De toute évidence, Maurizio Gatti sait débusquer avec un goût très sûr et un flair déconcertant les ressemblances qui apparentent intimement les littératures autochtones, même là où l’on ne songeait pas à les chercher. De recueil en recueil, il démontre qu’un regard formé loin du lieu de l’enquête conserve parfois une capacité d’étonnement que les gens du cru oublient de cultiver.