Roman ? À peine. Malgré ce qu’affirme la couverture. Ce que l’auteure a déjà révélé de ses attachements suffit à l’identifier sous le pseudonyme de Françoise. Mon grand (JCL, 2003) avait fait connaître la générosité de Micheline Duff à l’égard des démunis, qu’ils possèdent ou non un dossier judiciaire. De là à déceler sa présence sous les traits d’une bénévole enseignant le piano à des détenus, il n’y a même pas la moitié d’un pas.
Peu importe d’ailleurs, car, roman ou autofiction, le bouquin témoigne d’un métier de plus en plus sûr. La gestion de deux trajectoires distinctes et ultimement convergentes requérait, en tout cas, un délicat dosage de prévisible et d’incertain, de quotidien et de suspense. Pendant que les cours de Françoise offrent une oasis d’harmonie et d’amitié à des détenus qui manquent des deux, le parcours douloureux de l’un d’entre eux, Christian, se dévoile. Le lecteur (surtout s’il manque d’intuition) ignore pourtant quel crime lui a valu son interminable peine. Plus ou moins doués pour le piano, les détenus défilent, offrant pour la plupart des profils fugitifs, tandis que l’enfance et l’adolescence de Christian rendent terriblement prévisible et presque légitime sa rage meurtrière. Quand enfin se fera la clarté, le message n’aura pas à se formuler lourdement : qu’il se lève celui qui n’aurait pas imité le jeune homme s’il avait vécu le même enfer ! Tout ne sera pourtant réglé que si Christian liquide la haine qui l’habite depuis l’enfance. Mise en veilleuse d’un bénévolat trop peu apprécié de la machine carcérale, révélation du crime de Christian, relations à redéfinir entre humains qui se sont blessés durablement, tout culmine et se dénoue au sommet des dernières pages.
La générosité de la bénévole ne la rend pas parfaitement cohérente. D’une part, la théorie : « Je n’ose m’informer s’ils se trouvent ici pour la même raison, fidèle à mes principes de ne pas poser de questions » ; d’autre part, la pratique : « Et… et vous vous entendez bien ? » (même page). Elle ragera devant des fouilles d’ailleurs tatillonnes, mais elle racontera avec fierté ses entorses aux règles de la sécurité. Elle regrettera ses indiscrétions, mais ne parviendra pas à cloisonner les confidences qu’elle reçoit. Présumons qu’il s’agit de la dimension romanesque d’une admirable compassion.