Comment qualifier ce livre ? Travail de naturaliste en herbe ? Œuvre de moraliste ? Leçon d’humanité ? Il y a de tout ça dans ce récit de 1937. Ne vous trompez pas, cependant, le caméléon du titre n’a rien de métaphorique : il s’agit bel et bien du petit reptile que tous croient connaître. Qu’ils croient connaître, car c’est là une des forces de ce récit : nous en apprendre énormément sur cet animal tellement particulier, tout en nous touchant tantôt par l’anecdote, tantôt par l’éclat discret de l’écriture.Le monde se divise en deux, nous dit Francis de Miomandre : ceux qui aiment le caméléon et ceux qui n’y entendent rien. Les qualités d’âme du côté des amateurs (générosité, sens du beau, « esprit de poésie et de musique »), et ses travers de l’autre (insensibilité, jalousie, hypocrisie). J’avoue ne pas savoir de quel bord je me situe. Mais là n’est pas le propos de l’auteur. J’admire le travail de Miomandre et je me suis surpris à m’informer davantage sur ce « lion rampant » ou « lion du sol » (caméléon en grec), dont je découvre quel animal fabuleux il est.L’écrivain nous conte sa découverte de Séti, son caméléon, « l’enfant vert », « Léon Camel », « le fils de l’arc-en-ciel » qui deviendra le trésor du couple Miomandre. Il nous parle longuement de son aspect, il nous explique ses habitudes de vie dans une langue simple et des expressions imagées ; on sait ce que mange Séti et à quelle fréquence, comment il boit (étrange), où il dort et dans quelle position. Miomandre entretient bien sûr son lecteur sur cette fameuse capacité du caméléon à changer de couleurs et de forme (de forme, ça, je l’ignorais), à travers des anecdotes et des considérations tantôt techniques, tantôt pleines de poésie. Oui, le caméléon se camoufle. Non, le caméléon ne se métamorphose pas uniquement pour se protéger : il le fait parfois par plaisir, soutient Miomandre, parfois par colère ou frayeur (l’animal est absolument sans défense, hormis son art du camouflage), parfois pour des motifs plus subtils qui échappent au commun et que l’écrivain, observateur patient, rapporte avec un évident plaisir pédagogique.Je cherche dans tout l’ouvrage une grande leçon sur notre humanité. Il y en a quelques-unes, que l’auteur explicite parfois, dont celle-ci : « […] cette petite forme [le caméléon] s’adressait à moi dans un langage sans mots, un langage d’une clarté d’autant plus éblouissante. Elle me disait : ‘Vois ! […] Tu n’es placé, par rapport à moi, dans l’immensité de la hiérarchie universelle, qu’à quelques échelons de distance ; tu appartiens à la même fraternité.’ »Le récit se divise en chapitres à peu près chronologiques et tient beaucoup de l’art de la conversation, avec ses brèves digressions et certaines transitions incidentes. Au détour de tel épisode, on croise quelques noms qui ont fait l’heureuse connaissance de Séti : Paul Valéry, André Gide, le cinéaste Marc Allégret, entre autres figures.On sort de cette lecture ébloui et ravi. Contenté aussi : deux cents pages, c’est beaucoup, presque trop.Comment dire ? Comment qualifier ce drôle d’objet littéraire ? Il y a du Baudelaire chez Miomandre le dandy, dans l’image fine. Du Paul Léautaud aussi, dans l’expression d’un attachement réel pour une petite bête. L’auteur du Petit ami et Miomandre se sont d’ailleurs connus et ont partagé leur amour des animaux. C’est cet amour palpable et le talent littéraire qui me restent à l’esprit une fois le livre refermé.
MON CAMÉLÉON
- L’Arbre vengeur,
- 2017,
- Talence
249 pages
32,95 $
Loading...
Loading...

ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...