L’auteur poursuit son travail de critique sociale, entrepris depuis plusieurs années déjà. En cela, il est un digne héritier de l’École de Francfort, ce mouvement de pensée qui prit naissance dans l’Allemagne des années 1930 et dont le but était de décortiquer les discours dominants afin d’en dénoncer les irrationalités.
Après avoir signé une vingtaine d’ouvrages sur les pillages et le non-respect des droits de la personne de grandes compagnies canadiennes et étrangères, les paradis fiscaux, le nouveau langage du management, entre autres sujets, Deneault poursuit, avec Mœurs, la critique entamée dans ses ouvrages précédents.
Bien qu’il soit un penseur catalogué à gauche – sa critique du capitalisme le démontrant amplement –, Deneault ne se prive pas de décocher des flèches. Les premiers textes du livre questionnent plusieurs notions primées par la nouvelle gauche. L’auteur reconnaît la légitimité du discours intersectionnel (les différences, ça compte, on ne peut toutes les gommer dans l’universalisme) mais, souligne-t-il, il faut prendre garde d’essentialiser tout un chacun derrière sa différence spécifique et croire qu’on exprime par là une vérité immuable. Les notions de privilège, de pensée blanche, de colonialisme culturel, d’écriture non genrée, etc., sont remises en question, surtout quand elles ont plus valeur de slogan militant que de pensée réfléchie. Dans le chapitre intitulé « Que faire ? », Deneault déplore, après d’autres, qu’une partie de la gauche ait oublié la lutte des classes et abandonné le prolétariat à lui-même, le livrant ainsi à la droite populiste. D’ailleurs, les conservateurs l’ont assez facile en pointant du doigt les dérapages du wokisme.
Dans un autre chapitre, « Le senti maître », le regard critique se pose cette fois sur les affects et le ressenti, le « degré zéro de la connaissance » d’après l’auteur. On ne peut certes contester un ressenti, mais d’aucune façon il ne saurait remplacer la réflexion. Ainsi, Pierre Vallières avait-il de bonnes raisons d’avoir choisi Nègres blancs d’Amérique pour titre de son essai. Il n’avait aucune intention malveillante, bien au contraire. Il l’a fait comprendre à des Afro-Américains, qui lui ont donné leur aval, quand il était en prison à New York, en 1966. La raison doit exercer son autorité contre un pathos qui a tôt fait de se buter contre un autre pathos : tu imposes ton ressenti, mais que fais-tu du mien ?
S’appuyant plus loin sur l’éthique d’Aristote, Deneault plaide en faveur d’un juste milieu en matière de vertu. En ce qui concerne le racisme, il faut éviter deux extrêmes : rester insensible à la question et voir du racisme partout. Quelqu’un a reproché, une fois, à Deneault de parler au nom des autres – en l’occurrence au nom des Africains – quand il dénonçait des compagnies canadiennes au Mali. On lui a reproché aussi de s’approprier la souffrance d’autrui afin de mousser sa propre carrière. L’auteur de Mœurs se défend en disant qu’il parle, à partir de sa place, de la place de certains autres, sans jamais prétendre se substituer à eux ou leur ravir quoi que ce soit.
Les sujets abordés dans Mœurs sont variés. Il est notamment question de certains scientifiques écartés des grands médias lors de la pandémie, de l’« éthique » des affaires, de complotisme, d’universitaires trop frileux pour se commettre publiquement et de notre aveuglement volontaire devant la crise climatique.
Deneault : un penseur nécessaire.