« Je n’ai pleuré qu’une fois : à la mort de ma sœur, Milou. » C’est ce qu’a affirmé Simone Veil au journaliste qui l’a prise en photo, se frottant les yeux et penchée vers l’avant à son pupitre parlementaire au lendemain de la présentation de son projet de loi sur l’avortement.
De fait, sur l’image, elle a l’air de pleurer. Mais on peut la croire sur parole. Les dizaines de discours dont on a ici le recueil montrent une femme sensible, mais ni fragile ni émotive. Est-ce une question de tempérament, ou un héritage de ses années de réclusion et d’humiliations à Auschwitz ?
C’est en fait la rationalité, la force de conviction et la pondération qui marquent le discours de cette grande dame, célébrée aujourd’hui par des mouvances dont les militants et militantes resteraient peut-être perplexes devant certaines de ses positions. Pour Simone Veil, par exemple, le droit à l’avortement était certes une nécessité, mais plus exactement un mal nécessaire qu’il fallait légaliser par souci pragmatique et humanitaire, et parce que la loi doit suivre la société et non l’inverse ; mais ce n’était pas pour autant un droit fondamental dénué de toute responsabilité pour la femme et pour la société. « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. » Le discours qu’elle a prononcé à l’Assemblée nationale de la République française le 26 novembre 1974 à ce propos est d’ailleurs un des plus émouvants du recueil, par la gravité du sujet mais aussi par le ton. Chaque ligne transpire d’une ambiance sociale et parlementaire chargée avec laquelle il fallait composer avec doigté.
« Je n’ai pas participé aux mouvements féministes, mais je les ai toujours soutenus. Par tempérament je ne suis pas une militante. » Toute sa vie, Simone Veil luttera pour l’égalité des femmes dans le monde politique, économique et civil. Mais son orientation première est celle de la conciliation, et non de l’affrontement. Il en va de même pour ses prises de position sur la Shoah : victime au premier chef des exactions nazies, elle militera indéfectiblement pour « le couple franco-allemand », sa préoccupation étant que l’Europe soit à jamais protégée de la guerre, et de toute velléité de vengeance.
Mémoire de la Shoah, construction de l’Europe (elle fut la première personne élue à la présidence du Parlement européen au suffrage universel, en 1979), émancipation des femmes et combat éthique et social, voilà les quatre grandes rubriques sous lesquelles sont groupés ces discours prononcés entre 1974 et 2012. Si la dernière peut ressembler à un fourre-tout, c’est peut-être là qu’on lira les discours les plus éclairants pour notre monde. On y trouve des réflexions sur la pollution, sur l’augmentation du coût des soins de santé, sur la place de l’enfant dans la société. Ainsi, sur la difficulté nouvelle du rôle parental, elle fait remarquer que « les grands moyens d’information et les professionnels qui gravitent autour de l’enfant assaillent ses parents de messages toujours impérieux, mais rarement cohérents. Loin de toujours contribuer à un soutien éducatif réel, ils exacerbent l’inquiétude des parents, les somment d’assurer à leurs enfants une éducation orthodoxe et les interpellent constamment sur leur comportement ».
La question de l’immigration, aussi, intimement liée à celle de la tolérance et de la discrimination, est abordée, mais toujours avec le même souci de réalisme : « La réalité, c’est que pour des raisons tant politiques qu’humanitaires, il est impossible de renvoyer en masse les immigrés dans leur pays. […] La réalité, c’est aussi qu’aucun pays, y compris les États-Unis ou l’Australie dans les périodes les plus fastes, n’a pratiqué de politique d’immigration sans procéder à des choix sélectifs et des contrôles, et que c’est faire preuve d’irresponsabilité aussi bien à l’égard de la nation que des étrangers que l’on accueille que de prétendre le contraire ».
Cette grande dame qui a profondément marqué la morale et la politique de l’Europe de la deuxième moitié du xxe siècle nous a quittés le 30 juin 2017. Qui la remplacera ? Qui nous dira, dans les cinquante prochaines années : « […] je suis toujours attentive aux leçons du réel et des faits, plus qu’aux discours idéologiques » ?
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